Aurillac, ville romane
|
Plan de la ville romane |
|
|
Selon
toute probabilité le nom même
d’Aurillac ne vient pas de l’or, supposé abondant dans la Jordanne,
mais d’un Aurelius fait
citoyen sans doute sous Caracalla en 212. Ce n’est pas à Aurillac même
mais à Arpajon que les Gallo-romains s’étaient installés en masse.
Quand saint Géraud
fonda son abbaye, à l’extrême fin du IXe siècle,
Aurillac n’était qu’une simple bourgade dotée d’un château et
d’une église, dédiée à saint Clément, à l’usage de quelques
paysans. Le château possédait une chapelle domestique Saint-Etienne. Dès
la mort de Géraud les pèlerins affluent autour de son tombeau et des
très nombreuses reliques rapportées par lui de ses voyages. La
ville se construit. En 1096 elle obtient le statut de sauveté, comme
Montsalvy et Maurs ; quatre croix délimitaient le périmètre. Dès
cette époque le monastère possède école, atelier d’écriture et de
sculpture.
La cité bourgeoise va se construire un peu à l’écart, autour
de l’église Notre-Dame qui s’élevait à la place de l’hôtel de
ville actuel.
|
|
Les
églises
La
bulle de Nicolas IV, entre 1288 et
1292, et les travaux de Roger Grand nous permettent d’appréhender la
richesse de la cité à l’époque romane. La ville compte
alors pas moins de neuf églises ou chapelles, dont huit
sont citées dans la bulle. Saint-Etienne
est la plus ancienne et remonte au moins au père de saint Géraud.
C’est Gérald encore qui fait construire une église Saint-Clément.
A proximité ou sur son emplacement, la chose est discutée, saint Géraud
bâtit l’église abbatiale. Dans le courant du XIIe siècle,
dit Roger Grand, apparaît l’église paroissiale Sainte-Marie,
qui deviendra Notre-Dame. Au début du XIXe siècle existait
encore l’église du Buis ,
peut-être dans l’actuelle rue des Dames, et qui offrait paraît-il
tous les caractères romans. La Brève chronique des abbés cite
encore une chapelle Saint-Benoît
où fut enseveli l’abbé Pierre de Cizières en 1107. Emile et Pierre
de Roquenatou furent inhumés dans une chapelle Sainte-Madeleine,
près du couvent. On connaît encore une chapelle
Saint-Lazare qu’on suppose être la chapelle de l’hôpital.
Enfin la Brève Chronique parle d’une chapelle
Saint-Sauveur où l’abbé Emile fut d’abord enseveli.
De tout ceci il reste peu de choses : la
chapelle Saint-Etienne du château n’existait plus au XVIIe
siècle qu’à l’état de vestige. Le chevet au moins avait été
refait à la mode gothique, puis l’ensemble fut repris en 1828 et de
nouveau laissé à l’abandon. L’église du Buis tenait toujours
debout dans la seconde moitié du XIXe siècle. L’église
paroissiale Notre-Dame,
enfin, dura jusqu’après la Révolution, dans une version gothique.
Incendiée en 1569 elle fut restaurée dans les années 1597 à 1611.
Des fouilles menées en 1992, sous la place de l’hôtel de ville,
montrent une église gothique en forme de croix latine, dotée d’un
vaisseau principal séparé des bas-côtés par cinq colonnes. Le chœur
ouvrait sur cinq absides couvrant toute la largeur du transept. Un
clocher-porche s’élevait à l’Ouest. On a
retrouvé sous les fondations une sépulture d’enfant qui
jadis, du temps de l’église romane, se tenait dans le cimetière à
l’extérieur du chevet.
Quant au monastère
proprement dit, cloître et dépendances, qui fut construit en même
temps que l’église de saint Géraud, il n’en reste quasiment rien :
le lavabo qui orne la place Saint-Géraud, face à l’église, et
quelques bases de colonnes jumelées récupérées dans les
reconstructions du XVIIe siècle, sur les parois extérieures
de l’église. Rien en tout cas qui puisse donner l’idée d’un bâtiment
important.
|
L’hôpital
Le monument roman le plus intéressant de la ville
se situe en face du clocher de l’église Saint-Géraud. Cet ancien hôpital
avait été signalé par Mérimée en 1838 puis totalement crépi, si
bien qu’on l’oublia jusqu’en 1937, date à laquelle on restaura la
façade. Une gravure de Dauzats montre le monument tel que Mérimée a
pu le voir et tel qu’on le retrouve aujourd’hui, à quelques
vandalismes près.
La
partie centrale du rez-de-chaussée présente trois arcades surhaussées
portées par des colonnes à bases toriques. Un bandeau poursuit les
tailloirs à damier des chapiteaux, sur lequel on peut lire :
Ecce
quies hominum Domus atque refectio fratrum. Ad os… quicumque…
Les
derniers mots ont disparu, mais Mérimée les a lus : “ Voici
une maison de repos pour les hommes, de réconfort pour nos frères.
Tous ceux qui se présenteront à cette porte… ”.
Il s’agit donc bien d’un hôpital,
à l’usage probablement des pèlerins, tant ceux qui venaient spécialement
à Aurillac visiter les reliques de saint Géraud que ceux qui, de
passage, se rendaient à Saint-Jacques-de-Compostelle. Et en effet “ hôpital ”
voulait dire à la fois lieu de soin et hôtel pour les voyageurs.
L’hôpital est cité en 1280, dans le texte de la première “ Paix ”,
article LX, mais l’ensemble date, à en juger par les chapiteaux, de
la fin du XIe siècle ou du tout début du XIIe siècle.
Nous retrouvons là en effet le style caractéristique de l’école
d’Aurillac qui œuvra lors de la reconstruction de
l’abbatiale consacrée en 1095. En partant de la gauche on a : deux
quadrupèdes dressés sur des tiges entrelacées, têtes
renversées en arrière mordant leurs queues terminées en
palmettes ; tiges rainurées d’où tombent des
pommes de pin ; entrelacs et palmettes ; rubans
entrelacés et feuillages d’angle ; palmes
et au-dessus des rubans entrelacés ; enfin palmes partant de
rubans.
Tous les chapiteaux, malgré cette description laconique, sont
différents. Les mêmes motifs sont agencés de diverses manières, dans
un jeu savant de formes et de combinaisons. Les tailloirs, certains fort
abîmés, sont ornés de damiers. Motifs purement décoratifs donc, mais
d’un art achevé. On voit sur la gravure de Dauzats, à l’archivolte
des arcs, une rangée de billettes qu’il a fallu briser pour aplanir
la surface à crépir.
L’hôpital est converti actuellement en une série
d’appartements, si bien qu’on peut, à Aurillac, et pour une somme
modique, loger dans une maison authentiquement romane.
|
Autres
vestiges
Il
est difficile, en l’absence de
sculptures ou d’éléments architecturaux typiques, de reconnaître la
romanité d’un édifice. Plusieurs maisons d’Aurillac
cependant présentent des traces d’une vénérable antiquité.
La cité abbatiale fut fortifiée très tôt, peut-être dès
l’époque d’Odon ; la ville
bourgeoise était ceinte de murs depuis 1280 au moins, et
probablement dès la fin du XIIe siècle, mais atteint son développement
complet à partir du XIIIe siècle et s’étend de la
place de l’hôtel de ville actuelle jusqu’à Notre-Dame-aux-Neiges,
place du square, qui fut commencée avant 1236.
Les vestiges de murailles, ici et là, ne remontent pas si loin,
mais la topographie de la ville a conservé le souvenir de ces premières
fortifications.
Il subsiste place de l’hôtel de ville, au n° 9,
une maison présentant les vestiges d’une baie géminée, côté rue
de Noailles, recrépie depuis, et présentant les caractères romans. La
maison qui occupe le n° 6 de la place est plus intéressante :
les restes des baies “ romanes ”
y sont encore visibles, bien que bouchées ultérieurement. Les bandeaux
sur lesquels ces baies prenaient appui sont également restés en place
et relèvent de la même période (XIIe-XIIIe siècle).
La
très belle tour de la rue du Consulat, au n° 4,
conserve presque exactement la même fenêtre, également mutilée
et bouchée, entre le premier et le second étage. Cet ensemble a
été repris au XVIe siècle et plus tard, tout en
conservant l’appareil roman. Il s’étendait sur la droite,
comme l’indique un reste de bandeau, et certainement sur la
gauche, où nous retrouvons les mêmes pierres. A
ces deux bâtiments romans, certes extrêmement modifiés, on
pourrait en ajouter bien d’autres qui sont toutefois moins
clairement datables. On verra ici une vieille porte configurée en
plein cintre, là un oculus apparemment ancien, là encore un
appareillage qui, irrésistiblement, évoque notre époque romane,
mais rien qui permette vraiment la certitude. |
La
maison du n° 6, rue du collège, offre plus de garanties.
La façade est scandée par six arcades dont les trois premières,
à gauche, sont ornées d’un tore indiquant au plus tard le XIIIe
siècle. Le visiteur pourra s’amuser à repérer l’ancien dans les
vieux quartiers de la ville. N’en doutons pas : il y a encore bien
d’autres traces qui dorment sous les crépis.
Cela suffit à montrer l’importance que dès l’époque
romane la ville d’Aurillac avait acquise. Les bourgeois au XIIIe
siècle exigeront qu’on en tienne compte et se révolteront, leur statut
finissant par être réglé par les fameux traités dits “ Paix
d’Aurillac ”. Le commerce était alors florissant et l’on voit
nos marchands se rendre dès 1202 aux grandes foires de Provins, où ils
acquièrent même une maison qui leur sert d’entrepôt.
La ville romane d’Aurillac, en résumé, se compose
essentiellement de deux pôles, l’abbaye
à l’origine de la cité géraldienne, et l’église
Notre-Dame (hôtel de ville actuel), le tout protégé de
murailles et de tours. A l’extérieur sur la colline veille le château
Saint-Etienne de Géraud dont le donjon roman subsiste, on
va le voir, construit sur des bases plus anciennes. Tout ou presque sera
reconstruit à l’ère gothique, mais le tracé des rues et la superficie
de l’ensemble restent les mêmes jusqu’au XIXe siècle, où
la ville explose à nouveau. Aurillac,
ville moyenne de notre France actuelle, uniquement réputée pour sa
froidure (évidemment, il fait plus froid à Saint-Flour) était donc aux
temps médiévaux ce qu’on peut nommer une “ grande ville ”.
|
Les
tours romanes
Outre
les fortifications dont on a parlé,
la ville était défendue par le château Saint-Etienne et, selon la
tradition, par un système de tours de guet non loin. Il nous reste de
cet ensemble le donjon du château
d’Aurillac et les tours de
Saint-Simon et de Naucelles,
qu’on peut dater du XIe ou XIIe siècle.
Le château Saint-Etienne
à Aurillac existait quand naquit saint Géraud. De ce premier castrum
il ne reste rien mais l’ensemble fut reconstruit à la fin du XIIe
siècle sur ces bases anciennes. De cette seconde version (sans compter
des versions intermédiaires possibles) il subsiste le donjon
actuel, le reste étant moderne et datant d’après 1868, date
à laquelle le château fut sérieusement endommagé par un incendie. La
tour est carrée (7,8 mètres sur 8), les murs atteignant 2,2 mètres
d’épaisseur, directement posés sur le rocher. Les quatre étages
s’élèvent à vingt mètres. Une porte plein cintre disposée à sept
mètres du sol décourageait l’attaque : il suffisait de retirer
l’échelle. Une autre échelle à l’intérieur, passant par un trou
dans la voûte, permettait d’atteindre le rez-de-chaussée. Nous
savons par un arrêt du Conseil d’Etat, du 12 mai 1746, que la tour
mesurait alors seize toises, c’est-à-dire environ 31 mètres.
La tour de Naucelles
correspond à une extension de Saint-Géraud qui, probablement assez tôt,
installa ici un prieuré et une église (Nova Cella, “ nouvelle
église ”). Il y avait en plus de la tour une enceinte
protectrice. L’abbé y entretenait fin XIIIe une petite
garnison. La disposition est comparable : plan carré (8,8 sur 8,7
mètres), murs épais (2,2 mètres), entrée surélevée à 7 mètres du
sol. Elle a été plus malmenée encore que sa consœur d’Aurillac
puisque de ses trente mètres de haut elle n’a conservé que quinze mètres.
Trois étages sont divisés par des planchers.
Le
clocher de Saint-Simon enfin est une ancienne tour
seigneuriale qui dépendait également de Saint-Géraud. Elle mesure
plus de 22 mètres et a 8,3 mètres de côté. Une porte plein cintre
s’ouvre à 6 mètres de hauteur selon le même principe défensif
qu’on voit à Aurillac et Naucelles. Un escalier à vis conduit au
sommet, couronné de corbeaux postérieurs, probablement du XVe
siècle. Le rez-de-chaussée formait le chœur de l’ancienne église
de Saint-Simon et fut conservé comme chapelle latérale lors de la
reconstruction de 1902.
On peut répéter ce que nous disions de la tour de Marlat
(commune d’Auzers) dans notre précédent volume consacré au
Mauriacois : ces tours sont avant tout à usage symbolique et
dans une moindre mesure à usage militaire. Il s’agit
d’abord d’inscrire son pouvoir dans le paysage, d’assurer une
surveillance. De là un certain souci esthétique, visible dans
l’appareillage des portes, tandis que les “ archères ”
s’apparentent davantage à des fentes d’éclairage et d’aération.
Ce
texte sur les traces romanes d'Aurillac doit beaucoup à l'article de Nicole Charbonnel paru dans la Revue de Haute-Auvergne, 1999, p. 21 et
suiv.
Haut
de page
|
|