Les thèmes profanes
La
sculpture romane ne pouvait pas se contenter d’exprimer une vision
chrétienne ou chistianisante du monde ; comme tout art,
elle est le reflet d’une époque transcendant la part purement
religieuse qui entre nécessairement dans toute définition sociale.
L’art roman nous parle aussi de la guerre, de la justice, des hommes
et des femmes dans leurs occupations quotidiennes, du milieu dans
lequel ils évoluent, des animaux et notamment de la vache qui,
déjà, règne sur le Cantal, mais aussi de la danse et de l’amour.
Nous voudrions, pour clore ces aperçus rapides, faire sentir l’homme
roman de plus près, tel que les monuments nous le restituent.
La
magie
Les
hommes du temps sont chrétiens, certes, et il n’y a aucune raison
de dénigrer ce christianisme sous prétexte qu’il ne ressemble pas
à ce que notre modernité souvent ingrate en a fait. La superstition,
entendue comme croyance en l’action surnaturelle de forces bonnes ou
mauvaises, fait partie de la spiritualité du temps. De là ces têtes
hurlantes ou inquiétantes à l’entrée de certaines églises (Sauvat,
Ydes…), qu’on nomme ici
Salguebrous, et dont le but devait être de chasser les
démons.
La magie et les mécanismes de conjuration sont
consubstantiels à toute spiritualité. On retrouvera un Salguebrou du
XVe siècle dans le porche de Fontanges.
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L’érotisme
Nous
avons déjà rencontré la sexualité à propos de la condamnation de
la luxure, en
remarquant que certains motifs ne semblaient pas faire intervenir de…
condamnation. L’exemple du “ baiser ”
de Saignes
nous permet de constater la présence d’un érotisme pur.
Scène de tendresse entre ces deux personnages
enlacés ? Ce n’est pas certain, pour qui observe bien, car l’un
des personnages promène sa main dans les régions du corps humain que
la pudeur nous interdit de nommer. Peut-être se saisit-il tout
simplement d'une bourse… à moins qu’il s’agisse des
bourses. A chacun d’aller vérifier sur place, car le dessin laisse
volontairement planer le doute
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La donation
de Trizac
Voici
une autre scène de couple, nettement moins torride cependant,
et pour cause : il s’agit d’un couple de
donateurs qui, sous la main de Dieu, offrent une église symbolisée
ici par la colonne. Œuvre très auvergnate, qui a des
cousines en Basse-Auvergne (Volvic, Bulhon), traitée avec
beaucoup de raffinement. L’attitude est digne, empreinte de
solennité. Contrairement à d’autres ces seigneurs n’ont
pas laissé leur nom sur un bout de tailloir, et donner
leur a paru suffisant. Mais ils n’ont pas poussé la modestie
jusqu’à ne pas commander la classique scène de donation qui
marque aux yeux de Dieu, et des contemporains, la générosité
de l’acte. A moins que le sculpteur ait représenté une
scène abstraite dans le but, qui sait, d’encourager de
futures donations.
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Notons que si ces seigneurs sont bien réels, ils marquent le
début d’une religiosité plus individualisée, plus personnelle,
qui culminera au XVe siècle dans l’ajout aux églises de chapelles
privées. Il existait bien auparavant des chapelles castrales
(Saignes, Jailhac…), mais elles étaient rares, réservées à peu
et surtout pas assez ostentatoires.
Le
chevalier et son cheval
Parmi les superbes modillons de Saint-Cernin
nous trouvons une non moins superbe figure de chevalier. Et comme un
chevalier sans cheval n’est rien, le sculpteur n’a pas omis le
cheval. Il ne s’agit
pas ici en effet de l’animal sauvage, mais de l’animal domestiqué
accompagné de son attirail de harnais. Le chevalier est lui-même
convenablement équipé, avec bouclier et épée, mais sans casque.
Les mauvais chevaliers, tyrans et spoliateurs, sont généralement
représentés lourdement casqués, la face presque invisible. Celui-ci
au contraire présente un visage agréable, et c’est
probablement le protecteur de l’église.
L’esprit du temps voyait dans le chevalier et sa monture un
individu unique. Le concile de Limoges, en 1031, proféra la
malédiction conjointe des mauvais chevaliers et de leurs
chevaux !
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