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Le travail du temps

 

 

Les églises romanes de notre région permettent de découvrir la trace de plusieurs générations de chrétiens et de bâtisseurs qui tous ont voulu, plus ou moins discrètement, apposer leur marque et en quelque sorte s'approprier l'édifice. Nous pouvons retenir trois périodes principales de cette histoire, où les constructions, remaniements et reconstructions furent les plus nombreux: l'époque romane (XI-XIIe), le quinzième et le dix-neuvième siècles.

 

Fenêtre romane à Anterrieux

 

 

 

 

 

 

 

 

L'époque romane


 

Nous ne disposons pas de documents qui soient à la fois nombreux et fiables concernant les dates de construction des édifices romans.

On donne pour datant du XIe les églises de Mauriac et de Riom. Mauriac était en voie de construction en 1108, mais le chantier dura au moins jusqu'à la moitié du siècle, peut-être plus car la tradition veut que Matfred de Scorailles ait fait reconstruire l'église, c'est-à-dire la nef, de 1151 à 1174. Il existe aussi un texte de donation qui parle, en 1279, de la construction de l'église de Mauriac . Concernant Riom enfin, il s'agit d'une hypothèse fondée sur le caractère archaïque de certaines maçonneries et un chapiteau. Pour le reste tout serait XIIe. Quant à savoir ce qui serait extrême-fin XIe, début XIIe, milieu ou fin XIIe, les seuls documents dont nous disposions sont les monuments eux-mêmes. Autant dire que la certitude est impossible. Allons plus loin et disons carrément qu'une précision à cinquante ans près est même loin d'être envisageable, d'autant que le roman perdura chez nous tout au long du XIIIe siècle.

  Le seul texte un peu étoffé concernant l'histoire de la région à l'époque romane est la fameuse charte dite de Clovis, sur laquelle il convient peut-être de faire le point. C'est en fait un faux diplôme composé dans la seconde moitié du XIe, peut-être la première moitié du XIIe, mais reprenant un polyptyque plus ancien, du VIIIe ou plus probablement du début du IXe siècle, décrivant les biens de l'abbaye Saint-Pierre-Le-Vif de Sens dans la région de Mauriac. C'est malheureusement un document peu clair.

D'anciennes chroniques disent comment Théodechilde, fille (?) de Clovis, et un certain Basolus vaincu par les francs, donnèrent des terres auvergnates à l'abbaye sénonaise, laquelle établit à Mauriac un monastère important dans le but de gouverner au plus près ces biens nouveaux. Mais les troubles furent constants car les seigneurs locaux et les moines de Mauriac eux-mêmes supportaient mal la domination de ces lointains étrangers francs. Au XIe siècle en effet, de nouveaux seigneurs laïcs cherchent à se tailler des fiefs aux dépens de l’Eglise, tandis que les moines tentent de s'affilier à la Chaise-Dieu. Il y eut des morts. Les évêques de Clermont furent sommés d'intervenir au profit de l'abbaye (Pierre Leroux évêque, assiège Miremont près de Chalvignac, en 1105), mais leur attitude semble-t-il est équivoque, car ils tentent plutôt de réasseoir leur pouvoir à partir de leurs possessions de Charlus, à eux depuis 1110 au moins.

Face à ces assauts, Saint-Pierre-Le-Vif fait rédiger un texte en vue de prouver son bon droit, en intégrant donc un polyptyque plus ancien. Quarante églises y sont citées, avec des listes de redevances. Pas un mot sur Mauriac même, qui évidemment existait à l'époque: on a voulu faire croire que la charte était contemporaine de la fondation du monastère.

Par nature, ce genre de document est peu fiable. On ne sait pas par exemple ce qui relève du IXe et ce qui date du XIe. Toutes les églises citées ont pu exister avant l'an mil, mais elles furent refaites ensuite sans qu'il soit possible de s'y retrouver. D'autre part, il est impossible de savoir si les églises non citées étaient alors inexistantes ou si elles sortaient de la juridiction de l'abbaye. Ajoutons à cela l'incertitude qui pèse sur la date du document lui-même, et il devient patent qu'il ne peut nous servir à dater les édifices.

On tirera toutefois quelques enseignements utiles, concernant d'abord la région : il est intéressant de voir comment la zone circonscrite dans la charte correspond presque parfaitement à l'actuel arrondissement. C'est, grosso modo, un trapèze dont les côtés sont la Dordogne à l'ouest, la Rhue au nord et à l'est, jusqu'au Puy Mary et au puy Merle cités dans le texte, terminé au sud par l'axe de la Maronne. Le caractère unitaire de cette zone est ainsi de haute origine, et sert en même temps à expliquer les particularismes architecturaux et autres que nous avons signalés plus haut. D'autre part, il est important de constater que quelques lieux limousins (“ in pago lemovicino ”) sont compris dans l'ensemble : ce sont Rialac (Rilhac­Xaintrie), Saint-Privat, Durazat (Darozac?) et Auriac, tous lieux de la Corrèze actuelle, proches de la frontière, à quoi il faut encore ajouter Bort, presqu'île de la Corrèze enfoncée dans le Cantal. Voilà qui montre à nouveau combien le mauriacois a toujours été relié au Limousin plus peut-être qu'au reste du Cantal. Enfin l'abbaye de Saint-Pierre-Le-Vif possédait aussi quelque chose 'in suburbio Arvernensis urbis", c'est-à-dire dans un faubourg de Clermont.

Ces voyages d'émissaires clermontois, cette possession à Clermont même et ces liens avec le Limousin tout proche sont comme une justification de ce que l'archéologie découvre par ses propres moyens, à savoir les influences du Limousin et de la Basse-Auvergne dans l'architecture religieuse du Mauriacois, sans qu'on puisse évaluer leur pénétration très précisément.

    Il est donc presque assuré que les édifices actuels sont venus en remplacement, à l'époque romane, d'autres plus anciens dont il ne reste aucune trace sinon peut-être une base de mur à Collandres. La sculpture ne nous renseigne pas davantage : il ne reste apparemment rien de ces édifices “ pré-romans ”. Cela laisse penser qu'il devait s'agir de bâtiments fort fragiles, mi-pierres, mi-bois.

Ce que nous savons mieux en revanche, c'est l'allure qu'avaient ces édifices romans à l'origine. Dans la plupart des cas il suffira de gommer par la pensée tout ce qui a été ajouté au fil des siècles et qui s'écarte du roman. Ainsi, si la plupart des monuments affectent en plan la croix latine, il n'en allait pas de même au principe. L'image de la Croix, sauf pour les églises à collatéraux où elle se lit généralement au niveau des couvertures, provient souvent sinon toujours de l'ajout, principalement au XVe, de chapelles latérales en avant du choeur ou à son niveau.

Initialement donc nous avions un simple vaisseau rectangulaire, se poursuivant par un choeur et s'achevant par une abside. Toutes les nefs n'ont pas résisté : soit les voûtes se sont écroulées, nécessitant une reconstruction qui alors se faisait dans le goût de l'époque, soit on a démoli ces nefs pour se mettre à la page, soit encore lesdites nefs avaient été construites, dès l'époque romane, à la va-vite, dans l'urgence de l'achèvement, et appareillées plus grossièrement, recouvertes d'une voûte en lambris et d'une petite charpente, car il est possible qu'au début on ait couvert le tout en chaume. Nous savons qu'il en allait ainsi à Salers en 1554 encore. Cette technique d'attente devait être largement employée au XIIe et expliquerait qu'on ait repris, parfois plusieurs fois, les voûtes des nefs et les nefs elles-mêmes. Chastel­ Marlhac offre le cas plus rare d'une nef romane terminée par un choeur gothique.

    Les absides en revanche ont souvent mieux résisté. C'est un fait que, même dans de petites églises de petits bourgs, leur appareillage est toujours très soigné et l'ensemble convenablement décoré. De plus, les voûtes en cul-de-four et en berceau pour le choeur ne provoquent pas sur les murs de fortes poussées, contrairement aux voûtes de la nef (quand elles sont en pierres). Il est logique qu'elles aient tenu plus longtemps

Il faut ici insister sur le fait qu'à la fin du XIIe siècle toutes les paroisses étaient pourvues en lieux de cultes. Nous ne connaissons pas beaucoup de cas, avant le dix-neuvième, de constructions ex nihilo d'édifices. Période de prospérité assurément que cet Âge roman, qui s'insère disent les historiens dans cette vaste époque de réchauffement du climat qui a permis, dans le Cantal, la colonisation des hautes terres. L'habitat permanent allait alors plus haut qu'aujourd'hui.

    Malgré ces difficultés de datation il semble probable que la plupart des édifices se sont élevés d'un seul jet et à peu près en même temps, assez rapidement. D'abord parce qu'il s'agit de petites églises, ensuite, et surtout, parce que leur homogénéité est assez évidente, en tout cas au point de vue des sculptures. D'Antignac au Falgoux, de Champagnac à Saint-Martin­Valmeroux, de Mauriac à Saint-Martin­-Cantalès et Riom-es-Montagnes, on retrouve soit les mêmes modillons, soit le même chapiteau "mauriacois", soit les deux ensemble. Il faut alors se rappeler que les éléments de décor, dans une église romane, font corps avec l'édifice et se conçoivent en même temps. Cela nous amène à penser qu'il existait au XIIe siècle une véritable industrie de l'église romane dans la région de Mauriac. Certains chapiteaux archifréquents, par exemple ces quadrupèdes affrontés, sur les colonnes des sanctuaires, ont été faits en série. Il y a fallu beaucoup d'artisans, de tailleurs et de sculpteurs, de charpentiers, d'ouvriers dans les carrières (comme celle de Broc près Menet), de convoyeurs, de main-d’oeuvre (et comment imaginer que les paroissiens n'aient pas dû participer à ces travaux gigantesques?), bref, tout un peuple qui, pendant 50 ou 100 ans, a vécu au rythme des Maisons de Dieu. C'est quelque chose qui ne sera plus vécu par la suite, même pendant ce long XVe siècle qui vit un peu partout l'adjonction de chapelles et les reconstructions de nef à la mode gothique. Seul le XIXe siècle s'approche de cette frénésie romane. C'était une aventure, une Croisade, un pèlerinage constant et populaire, la preuve d'un amour total de la pierre, qu'on a plus charriée en France, à cette époque, qu'à l'ère des pyramides d’Egypte.

    Le XIIIe siècle n'est pas plus facile à appréhender dans nos campagnes, du fait principalement de la résistance romane au gothique, résistance d'ignorance plus qu'idéologique sans doute. C'est pourquoi les auteurs anciens en viennent souvent à employer l'expression, peu claire, d'époque de transition. En gros, cela correspond au début du XIIIe siècle où la brisure des arcs est censée s'accentuer. Une église comme celle de Salins est d'architecture incontestablement romane dans son gros œuvre, mais il pourrait s'agir d'un roman treizième. Le portail Sud de Mauriac serait XIIIe, et sa brisure semble le confirmer, mais son ornementation est toute romane. En l'absence de documents, encore une fois, les principes de datation sont nécessairement ambigus et peu fiables. Les Anciens avaient tendance à tout vieillir, jusqu'au Xe parfois ; Rochemonteix ramène tout au XIIe, mais il suf­fit de voir à chaque fois ce sur quoi il se fonde pour apprécier le vague auquel nous sommes confrontés. L'archéologie trouve ici sa limite.  

 

 

 

 

Le long quinzième siècle


 

La période de transformation la plus intéressante semble se situer à la fin du XIVe et au XVe siècle. C'est à cette époque que les chapelles apparaissent partout (ou que les chapelles déjà existantes sont refaites). Un certain nombre de voûtes sont alors reconstruites en ogives. Mais là encore l'absence de docu­ents rend l'évaluation délicate. Dans les cas les meilleurs nous disposons d'un texte : pour Anglards, consécration d'une chapelle en 1493; pour Mauriac, XVe et XVIe; pour Salsignac, l'ensemble est refait, sauf peut-être le chevet roman, à l'extrême fin du XVe; pour Fontanges, hormis le clocher, une inscription signale la pose de la première pierre en 1468; pour Sourniac, un texte de 1498 mentionne un projet de construction de chapelle. Les clefs de voûtes fournissent aussi des précisions, quand elles sont ornées d'armoiries. Le choeur de Chastel date du XVe siècle (entre 1427 et 1481); Saint-Martin-Valmeroux est à situer vers 1450; une chapelle de Jaleyrac vers 1453. Des recherches plus poussées permettraient sans doute d'allonger la liste, mais peut-être pas de manière très considérable.

    Pour l'essentiel les transformations de cette époque relèvent du gothique, jusqu'assez tard. Résistance et pérennité du gothique, dit Mme Courtillé, XVIe inclus. Ainsi à Fontanges (1468) où l'on trouve le même esprit qu'à Villedieu cent ans plus tôt ; ainsi à Salers (consacrée en 1552), ainsi encore à Trémouille, construite en plusieurs étapes à partir de 1568.

   Résistance du roman, résistance du gothique. Tout montre que les bonnes vieilles recettes dominaient le goût du neuf. C'est un trait de caractère qu'on retrouve partout dans le monde paysan.

  L'éclosion de ces refontes et reconstructions s'explique assez bien par l'histoire. Au milieu du quatorzième siècle une crise assez longue débuta, qui courut jusqu'au premier tiers du quinzième, avec des pics et des pauses. Il y eut les pillages des routiers, et les Anglais de Robert Knolles, ravageant la région de Murat, poussant jusqu'à Apchon où ils échouèrent et à Miremont, commune de Chalvignac, où ils réussirent. En 1357, Salers est rançonnée. Les repaires de Sartiges et de Claviers furent démantelés dès avant 1359; Neuvialle fut brûlé par Bernard de Garlan; Charlus fut pris par des routiers qui de là, pendant quarante ans, dévastèrent la région. Le célèbre bandit Emérigot Marchès, pris en 1390, faisait alors des siennes un peu partout. Vers 1355, le choléra décime les régions de Salers et de Mauriac. Bref, troubles et ennuis variés, le traité de Brétigny (1360) faisant de l'Auvergne une zone frontière entre la France et l'Angleterre. La région de Saint-Flour connut la révolte des Tuchins, détruits en 1382.

  Nous avons des traces précises d'un véritable trou démographique du milieu du XIVe au début du XVe siècle : vers 1408 il restait, paraît-il, trois misérables paroissiens à Veyrières, si bien que de Veyrières et de Prodelles on ne fit à cette date qu'une seule paroisse. L'évêque expliqua qu'à "l'occasion des guerres et mortalités" ayant sévi spécialement dans les montagnes d'Auvergne depuis 40 ans environs", les deux paroisses furent "détruites et dépeuplées et rendues entièrement inhabitables". De nombreux bourgs disparurent alors purement et simplement : il pourrait en être ainsi de Cottheuge, dans la commune de Saint-Vincent. Les périodes de prospérité avaient provoqué une colonisation totale que la chute démographique rendait intenable. Ces troubles durèrent jusqu'au début du XVe  en 1427 la région de Mauriac est encore soumise aux routiers de Rodrigue de Villandrando qui assiègent Salers et de là rayonnent alentour, brûlant notamment l'église d'Anglards avec ses habitants.

Cela ne signifie pas qu'il ne se construisit rien au XIVe siècle, mais le XVe apparaît alors comme une période de reconstruction marquée par un retour a une démographie normale. De nombreux châteaux furent alors édifiés (La Vigne, Val, Saint-Etienne-de-Chomeil, Chavagnac près de Sauvat, Auzers, Anjony, La Borie à Saint-Vincent, etc.). On bâtit des églises à Saint-Martin-Valmeroux (vers 1450), à Fontanges (1468). Les belles stalles de Saint-Chamant et la mise au tombeau de Salers sont de cette époque, de même que les fresques de Sauvat et de Jaleyrac. On sculpte presque en série des Vierges qui doivent trouver place dans les églises.

    De cette riche époque n'émergent que peu de noms. Celui de Blandin Bompart, seigneur d'Auzers et architecte auvergnat du XVe siècle : on sait qu'il reconstruisit la forteresse de Madic sur ordre de Gilbert de Chabannes, gouverneur du Limousin. Cette place pouvait contenir dit-on un millier de guerriers. Il construisit aussi l'église de Madic devenue paroisse, le clocher de Champs, restaura peut-être encore Saignes, Salers et fit probablement Saint-Martin-Valmeroux, où l'on voit ses armes. Il faut citer aussi Pierre Vinya, que nous  connaissons  par  sa  signature  à Fontanges, ou encore Pierre de Balzac qui fit beaucoup construire à Bort, fit refaire Salsignac et passa commande d'un clocher à Aurillac. Son neveu, Robert de Balzac, fonda le chapitre de Saint-Chamant en 1484.

La cause principale de cette vivacité semble être l'usure des bâtiments au XIVe siècle, due essentiellement à un trou démographique avéré dont les causes conjointes furent la guerre, la maladie et, déjà, l'émigration, ce qui provoqua sans doute un manque d'entretien qui, ajouté à l'usure naturelle, obligea à des reconstructions. L'ajout des chapelles et les fresques correspondent plutôt à une volonté des seigneurs et bourgeois de laisser une trace visible de leur opulence retrouvée. En même temps la piété s'individualise et réclame des lieux de prière privés.

Pour conclure il faut dire que les maîtres-d'oeuvre de l'époque gothique ont souvent respecté ce qu'ils pouvaient sauver des monuments romans. Ainsi à Chastel-Marlhac, où l'on a replacé les petits chapiteaux de l'abside romane dans le nouveau sanctuaire entièrement gothique; ainsi encore par exemple à Saint-Martin-Valmeroux, où les modillons romans du chevet ont été replacés après destruction, et peut-être à Fontanges, dont on dit que le clocher est roman (mais est-ce bien certain?). Le porche et le portail romans de Salers furent conservés. C'est donc plutôt à des nécessités de réparation qu'il faut attribuer la vivacité architecturale du XVe siècle, et non forcément à une volonté de nouveauté qui, décidément, n'est pas la spécialité du Cantal. Quel amateur d'art s'en plaindra?  

 

 

 

 

 

Un frénétique XIXe siècle


 

Passons quelques siècles pour en arriver directement au dix-neuvième, autre grande époque de transformations qui mériterait une étude spéciale. Certes, du XVe siècle gothique (qui dura jusqu'au XVIe) au XIXe siècle, on ne s'arrêta pas brusquement de construire et de réparer. Ainsi Mgr de Ribeyre accorda 22 "permissions de bénir", de 1742 à 1762 . Ce n'est rien toutefois à côté du bouleversement du XIXe siècle. Outre des restaurations, voire des reconstructions complètes, on érigea de toutes pièces des milliers d'églises à travers la France. Pour le Cantal dans son ensemble une première estimation fut tentée qui donna :

- pour les reconstructions de clochers : 60,

- pour les constructions et reconstructions 90,

- pour les réparations-restaurations : 70 au moins

Léonce Bouyssou a mené récemment une étude très fouillée concernant l'ancien arrondissement de Murat, soient 36 communes, ou l'on compte en moyenne cinq églises neuves (construites ou reconstruites) par canton, ce qui donnerait par une vue de l'esprit quelque chose comme 115 églises neuves pour l'ensemble du département. Selon Rouchy, auteur d'une monographie sur le diocèse de Saint-Flour en 1905 , il y eut pas moins de 36 constructions et reconstructions d'églises de 1875 à 1905.

La réfection des clochers s'explique aisément : les révolutionnaires, c'est bien connu, vouant une haine farouche à la religion révélée, décidèrent d'abattre en 1793 tous les clochers en les ramenant au niveau de la nef. On se contenta souvent de fondre les cloches quand les paysans ne les avaient pas cachées. Des clochers furent maintenus, comme à Pleaux, parce qu'ils donnaient l'heure. Toutefois la persécution ne s'arrêta pas là : pendant quelques temps tous les édifices furent soit fermés et abandonnés à leur sort, soit transformés (sur le papier en tout cas) en "Temple de la Raison" (Saignes), ou encore en "Club civique" (Chastel-Marlhac). Nombre d'églises servirent aussi de grange et d'entrepôt et furent bientôt gagnées par la vermine.

    Il est difficile toutefois d'évaluer avec précision le nombre de clochers ainsi détruits. Les gros bourgs furent atteints (Mauriac, Pleaux, Saignes...) mais les petits beaucoup moins. Ainsi à Chastel-Marlhac le clocher resta en place et le serait resté sans une "révolte" que le citoyen Chou-fleur Roux dut réprimer en 1794.

     Outre ces nécessités de réparation, un autre motif d'essor architectural fut la réaction du haut-clergé tout au long du siècle. Il fallait reconquérir ce qui moralement avait été perdu, lutter contre un anticléricalisme désormais implanté. On ne compte plus les croix qui furent plantées et replantées alors, ni les Vierges, immenses et immaculées, élevées sur chaque rocher.

C'est donc à une Église militante, affirmatrice, conquérante, que nous avons affaire en ces temps, et la vivacité de l'architecture en est l'indice le plus sûr.

Pour le Mauriacois, citons quelques faits, sans idée d'exhaustivité.

- Réfections de clochers : Ally (1870), Chastel   (1822),   Chaussenac   (1888),  Collandres (1887), Espinassoles (1884), Le Falgoux (1830), Lanobre (1868), Mauriac  (1845), St-Martin-Cantalès, très éprouvée  (1805), Saint-Rémy (1843), Salers (1820 puis 1887), Trizac (1865), etc.

- Restaurations importantes et reconstructions : Anglards (1899), Arches (1860), Auzers (vers 1871), Barriac (créations de deux cha­pelles en 1852 et 1886, porte en 1874), Brageac (1863),  Champagnac  (1879),  Collandres (1899), Lanobre (1887, puis 1895-1900), La Chassagne, près Trizac (1852), Moussages (1831, 1860, 1873), Sainte-Eulalie (1861), etc.

- Constructions : église monolithe de Fontanges (vers 1876), La Monselie (1852), Le Fau (1850), Le Monteil (1869), Longevergne (1870), Saint-Pierre (à partir de 1850), etc. Œuvre considérable, on le voit, qu'un dépouillement complet des archives alourdirait encore.

  Mais œuvre parfois bien contestable : les sacristies construites alors ne respectent presque jamais l'édifice, voire le défigurent. La façade de Brageac est franchement médiocre, et surtout on supprima une travée. Trois clochers-arcades, ou à peigne, au moins, sont supprimés au profit de tours carrées sans valeur artistique, peut-être sous l'influence de Mgr de Marguerye qui ne les aimait pas (Ally, Toumiac, Saint-Paul). L'architecte Mallay, qui a officié en Velay et Basse-Auvergne, refait le clocher de Mauriac, puis Bonnay, des Monuments Historiques, supprime les chapelles latérales avant de couvrir le chevet et les bas-côtés en grosses dalles grises. Son projet : re-romaniser l'édifice. Record battu pour un projet à Bredons (projet d'école, jamais envisagé en fait) : on revoit et corrige l'édifice, avec des délires de gargouilles, du néo-roman mâtiné de néogothique, se mêlant à du néoclassique... Le pire est atteint à Notre-Dame de Lorette en 1885, près de Salers, qui fait “ plus d'honneur au zèle pieux du restaurateur qu'à son sens artistique ”.

    Une mention spéciale doit être attribuée cependant au bon sculpteur Ribes, enfant du pays, qui refit en 1891 le portail de Salers, dont les sculptures se délitaient, en respectant si bien le style que de nombreux visiteurs le croient d'époque. En 1901 l'artiste sculpta, de toutes pièces cette fois, le portail de la chapelle monolithe de Fontanges. On sent le dix-neuvième sans doute, notamment dans l'ajourement des tympans et les sculptures de la voussure supérieure, mais l'ensemble est charmant. Les petits dragons que les colonnes viennent écraser sont du meilleur goût et rappellent bien une trouvaille romane, à l'effet garanti, qu'on verra chez nous aux porches d'Ydes et de Serandon.

Beau travail également à la chapelle du Mas près d'Auzers, où l'on a sculpté vingt petits chapiteaux. Au point de vue de l'inspiration on a respecté l'esprit roman dans ses grandes lignes, ce qui montre la fascination qu'il commençait à exercer. Quant au style, il s'écarte de celui des maîtres par une taille plus ronde, plus enrobée, parfois plus précise. On se contente souvent aussi d'un nombre moindre d'éléments, mais on respecte les contraintes du support et notamment la symétrie.

C'est le temps aussi des débuts de l'archéologie religieuse. En 1837, Mérimée traverse l'Auvergne et adresse un rapport au ministre de l'intérieur. En 1840 on crée des commissions officielles. Abus de reconstructions et respect naissant de l'ancien sont donc contemporains.

    Mgr de Marguerye, évêque de Saint-Flour entre 1837 et 1851, est un bon symbole de cette attitude nouvelle. Féru d'archéologie, ami d'Arcisse de Caumont, il s'impliqua personnellement dans maintes restaurations et appliqua le principe de l'unité de style qui lui faisait plus ou moins rejeter les retables et autres adjonctions, selon lui de mauvais goût. En 1851 il adressa à tous les curés un questionnaire sur l'état de leur église et ne se privait pas de multiplier les conseils. Sous son impulsion on plâtra les lambris, on perça les baies des absides que la mise en place des retables avait souvent condamnées, on fit disparaître les poutres de gloire, etc. Toutefois rien ne venait officiellement garantir la préservation des monuments, et la doctrine de restauration n'était pas fixée. De là une certaine anarchie, au gré des modes néo­gothiques et néo-romanes, au gré aussi des besoins plus ou moins réels d'extension.

     Faut-il condamner le travail du dix-neuvième? Nous ne le pensons pas.

C'est le lot des époques d'avancées que de détruire et de refaire. Les maîtres romans n'ont pas respecté leurs prédécesseurs; les maîtres gothiques ont refait parfois sans vergogne. De même au dix-neuvième : vigueur, parfois désordonnée certes, plutôt qu'irrespect. Il faut regretter surtout la perte irréparable, dans le premier tiers du siècle, du monastère de Mauriac ou de ce qu'il en restait, ainsi que de l'église saint-Pierre attenante, l'une des plus anciennes relevant de l'époque romane et qui aurait pu nous renseigner largement sur l'évolution de l'art dans notre région.

      En réalité, la notion de préservation en l'état est typique du vingtième siècle finissant, et c'est un signe des temps. D'un côté, repli frileux sur l'ancien, muséification généralisée du moindre caillou taillé, jusqu'à la petite cuiller de grand-mère (comme s'en vante un organisme régional), de l'autre absence presque complète de création. Qu'a-t-on bâti au vingtième siècle dans le Cantal ? - Peu qui charme l'oeil ou l'esprit, quand l'idéal de consommation, de confort et de rapport remplace ce qui fut une consummation des richesses dans des constructions d'églises inutiles, qui ne rapportaient rien. Dès lors si l'on peut parler comme Daudet de "stupide dix-neuvième siècle", que dire du vingtième?

     Les églises romanes de notre région permettent donc de découvrir la trace de plusieurs générations de chrétiens et de bâtisseurs qui tous ont voulu, plus ou moins discrètement, apposer leur marque et en quelque sorte s'approprier l'édifice. Le changement toutefois, à quelques vandalismes près, s'est effectué dans le respect de l'ancien et l'amour du beau s'est assez bien perpétué.

     Visiter une église c'est donc aussi retrouver et confronter les goûts et les styles, leur symbiose ou leur éventuel décalage ; c'est prendre contact avec huit cents ans d'histoire et de mémoire. La pureté y perd sans doute quelque chose, mais nous y gagnons la vision d'une foi qui transcende les époques, ce qui n'est pas un mince enseignement.

 

 

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