Les
églises romanes de notre région permettent de découvrir la trace de
plusieurs générations de chrétiens et de bâtisseurs qui tous ont
voulu, plus ou moins discrètement, apposer leur marque et en quelque
sorte s'approprier l'édifice. Nous pouvons retenir trois périodes
principales de cette histoire, où les constructions, remaniements et
reconstructions furent les plus nombreux: l'époque
romane (XI-XIIe), le quinzième et le dix-neuvième
siècles.
L'époque
romane
Nous
ne disposons pas de documents qui soient à la fois nombreux et
fiables concernant les dates de construction des édifices romans.
On donne pour datant du XIe les églises de Mauriac
et de Riom. Mauriac était
en voie de construction en 1108, mais le chantier dura au moins
jusqu'à la moitié du siècle, peut-être plus car la tradition veut
que Matfred de Scorailles ait fait reconstruire l'église,
c'est-à-dire la nef, de 1151 à 1174. Il existe aussi un texte de
donation qui parle, en 1279, de la construction de l'église de
Mauriac . Concernant Riom enfin, il s'agit d'une hypothèse fondée
sur le caractère archaïque de certaines maçonneries et un
chapiteau. Pour le reste tout serait XIIe. Quant à savoir ce qui
serait extrême-fin XIe, début XIIe, milieu ou fin XIIe, les seuls
documents dont nous disposions sont les monuments eux-mêmes. Autant
dire que la certitude est impossible. Allons plus loin et disons
carrément qu'une précision à cinquante ans près est même loin
d'être envisageable, d'autant que le roman perdura chez nous tout au
long du XIIIe siècle.
Le seul texte un peu étoffé concernant l'histoire de la
région à l'époque romane est la fameuse charte
dite de Clovis, sur laquelle il convient peut-être de
faire le point. C'est en fait un faux diplôme composé dans la seconde moitié du
XIe, peut-être la première moitié du XIIe, mais reprenant
un polyptyque plus ancien, du VIIIe ou plus probablement du début du
IXe siècle, décrivant les biens de l'abbaye
Saint-Pierre-Le-Vif de Sens dans la région de Mauriac. C'est
malheureusement un document peu clair.
D'anciennes chroniques disent comment Théodechilde, fille (?) de
Clovis, et un certain Basolus vaincu par les francs, donnèrent des
terres auvergnates à l'abbaye sénonaise, laquelle établit à
Mauriac un monastère important dans le but de gouverner au plus près
ces biens nouveaux. Mais les troubles furent constants car les
seigneurs locaux et les moines de Mauriac eux-mêmes supportaient mal
la domination de ces lointains étrangers francs. Au XIe
siècle en effet, de nouveaux seigneurs laïcs cherchent à se tailler
des fiefs aux dépens de l’Eglise, tandis que les moines tentent de
s'affilier à la Chaise-Dieu. Il y eut des morts. Les évêques de
Clermont furent sommés d'intervenir au profit de l'abbaye (Pierre
Leroux évêque, assiège Miremont près de Chalvignac, en 1105), mais
leur attitude semble-t-il est équivoque, car ils tentent plutôt de
réasseoir leur pouvoir à partir de leurs possessions de Charlus, à
eux depuis 1110 au moins.
Face à ces assauts, Saint-Pierre-Le-Vif fait rédiger un texte en vue
de prouver son bon droit, en intégrant donc un polyptyque plus
ancien. Quarante églises y sont citées, avec des
listes de redevances. Pas un mot sur Mauriac même, qui évidemment
existait à l'époque: on a voulu faire croire que la charte était
contemporaine de la fondation du monastère.
Par nature, ce genre de document est peu fiable. On ne sait pas par
exemple ce qui relève du IXe et ce qui date du XIe. Toutes les
églises citées ont pu exister avant l'an mil, mais elles furent
refaites ensuite sans qu'il soit possible de s'y retrouver. D'autre
part, il est impossible de savoir si les églises non citées étaient
alors inexistantes ou si elles sortaient de la juridiction de
l'abbaye. Ajoutons à cela l'incertitude qui pèse sur la date du
document lui-même, et il devient patent qu'il ne peut nous servir à
dater les édifices.
On tirera toutefois quelques enseignements utiles, concernant d'abord la
région : il est intéressant de voir comment la zone
circonscrite dans la charte correspond presque parfaitement à
l'actuel arrondissement. C'est, grosso modo, un
trapèze dont les côtés sont la Dordogne à l'ouest, la Rhue au nord
et à l'est, jusqu'au Puy Mary et au puy Merle cités dans le texte,
terminé au sud par l'axe de la Maronne. Le caractère unitaire de
cette zone est ainsi de haute origine, et sert en même temps à
expliquer les particularismes architecturaux et autres que nous avons
signalés plus haut. D'autre part, il est important de constater que quelques
lieux limousins (“ in pago lemovicino ”) sont
compris dans l'ensemble : ce sont Rialac (RilhacXaintrie),
Saint-Privat, Durazat (Darozac?) et Auriac, tous lieux de la Corrèze
actuelle, proches de la frontière, à quoi il faut encore ajouter
Bort, presqu'île de la Corrèze enfoncée dans le Cantal. Voilà qui
montre à nouveau combien le mauriacois a toujours été relié au
Limousin plus peut-être qu'au reste du Cantal. Enfin l'abbaye de
Saint-Pierre-Le-Vif possédait aussi quelque chose 'in suburbio
Arvernensis urbis", c'est-à-dire dans un faubourg de
Clermont.
Ces voyages d'émissaires clermontois, cette possession à
Clermont même et ces liens avec le Limousin tout proche sont comme
une justification de ce que l'archéologie découvre par ses propres
moyens, à savoir les influences du Limousin et de la Basse-Auvergne
dans l'architecture religieuse du Mauriacois, sans qu'on puisse
évaluer leur pénétration très précisément.
Il est donc presque assuré que les édifices actuels sont
venus en remplacement, à l'époque romane, d'autres plus anciens dont
il ne reste aucune trace sinon peut-être une base de mur à
Collandres. La sculpture ne nous renseigne pas davantage : il ne
reste apparemment rien de ces édifices “ pré-romans ”.
Cela laisse penser qu'il devait s'agir de bâtiments fort fragiles,
mi-pierres, mi-bois.
Ce
que nous savons mieux en revanche, c'est l'allure qu'avaient ces
édifices romans à l'origine. Dans la plupart des cas il suffira de
gommer par la pensée tout ce qui a été ajouté au fil des siècles
et qui s'écarte du roman. Ainsi, si la plupart des monuments
affectent en plan la croix latine, il n'en allait pas de même au
principe. L'image de la Croix, sauf pour les églises à
collatéraux où elle se lit généralement au niveau des couvertures,
provient souvent sinon toujours de l'ajout, principalement au XVe, de
chapelles latérales en avant du choeur ou à son niveau.
Initialement
donc nous avions un simple vaisseau rectangulaire, se poursuivant par
un choeur et s'achevant par une abside. Toutes les nefs
n'ont pas résisté : soit les
voûtes se sont écroulées, nécessitant une reconstruction qui alors
se faisait dans le goût de l'époque, soit on a démoli ces nefs pour
se mettre à la page, soit encore lesdites nefs avaient été
construites, dès l'époque romane, à la va-vite, dans l'urgence de
l'achèvement, et appareillées plus grossièrement, recouvertes d'une
voûte en lambris et d'une petite charpente, car il est possible qu'au
début on ait couvert le tout en chaume. Nous savons qu'il en allait
ainsi à Salers en 1554 encore. Cette technique d'attente devait être
largement employée au XIIe et expliquerait qu'on ait repris, parfois
plusieurs fois, les voûtes des nefs et les nefs elles-mêmes. Chastel
Marlhac offre le cas plus rare d'une nef romane terminée par un
choeur gothique.
Les absides
en revanche ont souvent mieux résisté. C'est un fait que, même dans
de petites églises de petits bourgs, leur appareillage est toujours
très soigné et l'ensemble convenablement décoré. De plus, les
voûtes en cul-de-four et en berceau pour le choeur ne provoquent pas
sur les murs de fortes poussées, contrairement aux voûtes de la nef
(quand elles sont en pierres). Il est logique qu'elles aient tenu plus
longtemps
Il
faut ici insister sur le fait qu'à la fin du XIIe siècle
toutes les paroisses étaient pourvues en lieux de cultes.
Nous ne connaissons pas beaucoup de cas, avant le dix-neuvième, de
constructions ex nihilo d'édifices. Période de prospérité
assurément que cet Âge roman, qui s'insère disent les historiens
dans cette vaste époque de réchauffement du climat qui a permis,
dans le Cantal, la colonisation des hautes terres. L'habitat permanent
allait alors plus haut qu'aujourd'hui.
Malgré ces difficultés de datation il semble probable
que la plupart des édifices se sont élevés d'un seul jet et à peu
près en même temps, assez rapidement. D'abord parce qu'il
s'agit de petites églises, ensuite, et surtout, parce que leur
homogénéité est assez évidente, en tout cas au point de vue des
sculptures. D'Antignac au Falgoux, de Champagnac à
Saint-MartinValmeroux, de Mauriac à Saint-Martin-Cantalès et
Riom-es-Montagnes, on retrouve soit les mêmes modillons, soit le
même chapiteau
"mauriacois", soit les deux ensemble. Il faut
alors se rappeler que les éléments de décor, dans une église
romane, font corps avec l'édifice et se conçoivent en même temps.
Cela nous amène à penser qu'il existait au XIIe siècle une
véritable industrie de l'église romane dans la région de Mauriac.
Certains chapiteaux archifréquents, par exemple ces quadrupèdes
affrontés, sur les colonnes des sanctuaires, ont été faits en
série. Il y a fallu beaucoup d'artisans, de tailleurs et de
sculpteurs, de charpentiers, d'ouvriers dans les carrières (comme
celle de Broc près Menet), de convoyeurs, de main-d’oeuvre (et
comment imaginer que les paroissiens n'aient pas dû participer à ces
travaux gigantesques?), bref, tout un peuple qui, pendant 50 ou 100
ans, a vécu au rythme des Maisons de Dieu. C'est quelque chose qui ne
sera plus vécu par la suite, même pendant ce long XVe siècle qui
vit un peu partout l'adjonction de chapelles et les reconstructions de
nef à la mode gothique. Seul le XIXe siècle s'approche de cette
frénésie romane. C'était une aventure, une Croisade, un pèlerinage
constant et populaire, la preuve d'un amour total de la pierre, qu'on
a plus charriée en France, à cette époque, qu'à l'ère des
pyramides d’Egypte.
Le XIIIe siècle
n'est pas plus facile à appréhender dans nos campagnes, du fait
principalement de la résistance romane au gothique,
résistance d'ignorance plus qu'idéologique sans doute. C'est
pourquoi les auteurs anciens en viennent souvent à employer
l'expression, peu claire, d'époque de transition. En gros,
cela correspond au début du XIIIe siècle où la brisure des arcs est
censée s'accentuer. Une église comme celle de Salins est
d'architecture incontestablement romane dans son gros œuvre, mais il
pourrait s'agir d'un roman treizième. Le portail Sud de Mauriac
serait XIIIe, et sa brisure semble le confirmer, mais son
ornementation est toute romane. En l'absence de documents, encore une
fois, les principes de datation sont nécessairement ambigus et peu
fiables. Les Anciens avaient tendance à tout vieillir, jusqu'au Xe
parfois ; Rochemonteix ramène tout au XIIe, mais il suffit de voir
à chaque fois ce sur quoi il se fonde pour apprécier le vague auquel
nous sommes confrontés. L'archéologie trouve ici sa limite.
Le
long quinzième siècle
La
période de transformation la plus intéressante semble se situer à
la fin du XIVe et au XVe siècle. C'est à cette époque que les
chapelles apparaissent partout (ou que les chapelles déjà
existantes sont refaites). Un certain nombre de voûtes sont
alors reconstruites en ogives. Mais là encore l'absence de
docuents rend l'évaluation délicate. Dans les cas les meilleurs
nous disposons d'un texte : pour Anglards, consécration d'une
chapelle en 1493; pour Mauriac, XVe et XVIe; pour Salsignac,
l'ensemble est refait, sauf peut-être le chevet roman, à l'extrême
fin du XVe; pour Fontanges, hormis le clocher, une inscription signale
la pose de la première pierre en 1468; pour Sourniac, un texte de
1498 mentionne un projet de construction de chapelle. Les clefs de
voûtes fournissent aussi des précisions, quand elles sont ornées
d'armoiries. Le choeur de Chastel date du XVe siècle (entre 1427 et
1481); Saint-Martin-Valmeroux est à situer vers 1450; une chapelle de
Jaleyrac vers 1453. Des recherches plus poussées permettraient sans
doute d'allonger la liste, mais peut-être pas de manière très
considérable.
Pour l'essentiel les transformations de cette époque
relèvent du gothique, jusqu'assez tard. Résistance et
pérennité du gothique, dit Mme Courtillé, XVIe inclus. Ainsi à
Fontanges (1468) où l'on trouve le même esprit qu'à Villedieu cent
ans plus tôt ; ainsi à Salers (consacrée en 1552), ainsi encore à
Trémouille, construite en plusieurs étapes à partir de 1568.
Résistance du roman, résistance du gothique. Tout montre que
les bonnes vieilles recettes dominaient le goût du neuf. C'est un
trait de caractère qu'on retrouve partout dans le monde paysan.
L'éclosion de ces refontes et
reconstructions s'explique assez bien par l'histoire. Au
milieu du quatorzième siècle une crise assez longue débuta, qui
courut jusqu'au premier tiers du quinzième, avec des pics et des
pauses. Il y eut les pillages des routiers, et les Anglais de Robert
Knolles, ravageant la région de Murat, poussant jusqu'à Apchon où
ils échouèrent et à Miremont, commune de Chalvignac, où ils
réussirent. En 1357, Salers est rançonnée. Les repaires de Sartiges
et de Claviers furent démantelés dès avant 1359; Neuvialle fut
brûlé par Bernard de Garlan; Charlus fut pris par des routiers qui
de là, pendant quarante ans, dévastèrent la région. Le célèbre
bandit Emérigot Marchès, pris en 1390, faisait alors des siennes un
peu partout. Vers 1355, le choléra décime les régions de Salers et
de Mauriac. Bref, troubles et ennuis variés, le traité de Brétigny
(1360) faisant de l'Auvergne une zone frontière entre la France et
l'Angleterre. La région de Saint-Flour connut la révolte des Tuchins,
détruits en 1382.
Nous avons des traces précises d'un véritable trou
démographique du milieu du XIVe au début du XVe siècle
: vers 1408 il restait, paraît-il, trois misérables
paroissiens à Veyrières, si bien que de Veyrières et de Prodelles
on ne fit à cette date qu'une seule paroisse. L'évêque expliqua
qu'à "l'occasion des guerres et mortalités" ayant sévi
spécialement dans les montagnes d'Auvergne depuis 40 ans
environs", les deux paroisses furent "détruites et
dépeuplées et rendues entièrement inhabitables". De nombreux
bourgs disparurent alors purement et simplement : il pourrait en être
ainsi de Cottheuge, dans la commune de Saint-Vincent. Les périodes de
prospérité avaient provoqué une colonisation totale que la chute
démographique rendait intenable. Ces troubles durèrent jusqu'au
début du XVe en 1427 la
région de Mauriac est encore soumise aux routiers de Rodrigue de
Villandrando qui assiègent Salers et de là rayonnent alentour,
brûlant notamment l'église d'Anglards avec ses habitants.
Cela ne signifie pas qu'il ne se construisit rien au XIVe siècle, mais le
XVe apparaît alors comme une période de reconstruction marquée par
un retour a une démographie normale. De nombreux châteaux
furent alors édifiés (La Vigne, Val, Saint-Etienne-de-Chomeil,
Chavagnac près de Sauvat, Auzers, Anjony, La Borie à Saint-Vincent,
etc.). On bâtit des églises à Saint-Martin-Valmeroux (vers 1450),
à Fontanges (1468). Les belles stalles de Saint-Chamant et la mise au
tombeau de Salers sont de cette époque, de même que les fresques de Sauvat
et de Jaleyrac. On sculpte presque en série des Vierges qui doivent
trouver place dans les églises.
De cette riche époque n'émergent que peu de noms. Celui de Blandin
Bompart, seigneur d'Auzers et architecte auvergnat du XVe
siècle : on sait qu'il reconstruisit la forteresse de Madic sur ordre
de Gilbert de Chabannes, gouverneur du Limousin. Cette place pouvait
contenir dit-on un millier de guerriers. Il construisit aussi
l'église de Madic devenue paroisse, le clocher de Champs, restaura
peut-être encore Saignes, Salers et fit probablement
Saint-Martin-Valmeroux, où l'on voit ses armes. Il faut citer aussi Pierre
Vinya, que nous connaissons
par sa
signature à
Fontanges, ou encore Pierre de Balzac qui fit beaucoup
construire à Bort, fit refaire Salsignac et passa commande d'un
clocher à Aurillac. Son neveu, Robert de Balzac, fonda le chapitre de
Saint-Chamant en 1484.
La
cause principale de cette vivacité semble être l'usure des
bâtiments au XIVe siècle, due essentiellement à un trou
démographique avéré dont les causes conjointes furent la guerre, la
maladie et, déjà, l'émigration, ce qui provoqua sans doute un
manque d'entretien qui, ajouté à l'usure naturelle, obligea à des
reconstructions. L'ajout des chapelles et les fresques correspondent
plutôt à une volonté des seigneurs et bourgeois de laisser une
trace visible de leur opulence retrouvée. En même temps la piété
s'individualise et réclame des lieux de prière privés.
Pour conclure il faut dire que les maîtres-d'oeuvre de l'époque
gothique ont souvent respecté ce qu'ils pouvaient sauver des
monuments romans. Ainsi à Chastel-Marlhac, où l'on a replacé les
petits chapiteaux de l'abside romane dans le nouveau sanctuaire
entièrement gothique; ainsi encore par exemple à
Saint-Martin-Valmeroux, où les modillons romans du chevet ont été
replacés après destruction, et peut-être à Fontanges, dont on dit
que le clocher est roman (mais est-ce bien certain?). Le porche et le
portail romans de Salers furent conservés. C'est donc plutôt à des
nécessités de réparation qu'il faut attribuer la vivacité
architecturale du XVe siècle, et non forcément à une volonté de
nouveauté qui, décidément, n'est pas la spécialité du Cantal.
Quel amateur d'art s'en plaindra?
Un
frénétique XIXe siècle
Passons
quelques siècles pour en arriver directement au dix-neuvième, autre
grande époque de transformations qui mériterait une étude
spéciale. Certes, du XVe siècle gothique (qui dura jusqu'au XVIe) au
XIXe siècle, on ne s'arrêta pas brusquement de construire et de
réparer. Ainsi Mgr de Ribeyre accorda 22 "permissions de
bénir", de 1742 à 1762 . Ce n'est rien toutefois à côté du
bouleversement du XIXe siècle. Outre des restaurations, voire
des reconstructions complètes, on érigea de toutes pièces des
milliers d'églises à travers la France. Pour le Cantal dans
son ensemble une première estimation fut tentée qui donna :
-
pour les reconstructions de clochers : 60,
-
pour les constructions et reconstructions 90,
-
pour les réparations-restaurations : 70 au moins
Léonce Bouyssou a mené récemment une étude très fouillée
concernant l'ancien arrondissement de Murat, soient 36 communes, ou
l'on compte en moyenne cinq églises neuves (construites ou
reconstruites) par canton, ce qui donnerait par une vue de l'esprit
quelque chose comme 115 églises neuves pour l'ensemble du
département. Selon Rouchy, auteur d'une monographie sur le diocèse
de Saint-Flour en 1905 , il y eut pas moins de 36 constructions et
reconstructions d'églises de 1875 à 1905.
La réfection des clochers s'explique aisément
: les révolutionnaires, c'est bien connu, vouant
une haine farouche à la religion révélée, décidèrent
d'abattre en 1793 tous les clochers en les ramenant au niveau de la
nef. On se contenta souvent de fondre les cloches quand les
paysans ne les avaient pas cachées. Des clochers furent maintenus,
comme à Pleaux, parce qu'ils donnaient l'heure. Toutefois la
persécution ne s'arrêta pas là : pendant quelques temps tous
les édifices furent soit fermés et abandonnés à leur sort, soit
transformés (sur le papier en tout cas) en "Temple de la
Raison" (Saignes), ou encore en "Club civique" (Chastel-Marlhac).
Nombre d'églises servirent aussi de grange et d'entrepôt et furent
bientôt gagnées par la vermine.
Il est difficile toutefois d'évaluer avec précision le nombre
de clochers ainsi détruits. Les gros bourgs furent atteints (Mauriac,
Pleaux, Saignes...) mais les petits beaucoup moins. Ainsi à
Chastel-Marlhac le clocher resta en place et le serait resté sans une
"révolte" que le citoyen Chou-fleur Roux dut réprimer en
1794.
Outre ces nécessités de réparation, un autre motif
d'essor architectural fut la réaction du haut-clergé tout au long du
siècle. Il fallait reconquérir ce qui moralement avait été
perdu, lutter contre un anticléricalisme désormais implanté. On ne
compte plus les croix qui furent plantées et replantées alors, ni
les Vierges, immenses et immaculées, élevées sur chaque rocher.
C'est
donc à une Église militante, affirmatrice, conquérante,
que nous avons affaire en ces temps, et la vivacité de l'architecture
en est l'indice le plus sûr.
Pour
le Mauriacois, citons
quelques faits, sans idée d'exhaustivité.
-
Réfections de clochers : Ally (1870), Chastel (1822), Chaussenac
(1888), Collandres
(1887), Espinassoles (1884), Le Falgoux (1830), Lanobre (1868),
Mauriac (1845),
St-Martin-Cantalès, très éprouvée
(1805), Saint-Rémy (1843), Salers (1820 puis 1887), Trizac
(1865), etc.
-
Restaurations importantes et reconstructions : Anglards (1899), Arches
(1860), Auzers (vers 1871), Barriac (créations de deux chapelles en
1852 et 1886, porte en 1874), Brageac (1863),
Champagnac (1879),
Collandres (1899), Lanobre (1887, puis 1895-1900), La Chassagne,
près Trizac (1852), Moussages (1831, 1860, 1873), Sainte-Eulalie
(1861), etc.
-
Constructions : église monolithe de Fontanges (vers 1876), La
Monselie (1852), Le Fau (1850), Le Monteil (1869), Longevergne (1870),
Saint-Pierre (à partir de 1850), etc. Œuvre considérable, on le
voit, qu'un dépouillement complet des archives alourdirait encore.
Mais œuvre parfois bien contestable
: les sacristies construites alors ne respectent presque jamais
l'édifice, voire le défigurent. La façade de Brageac est
franchement médiocre, et surtout on supprima une travée. Trois
clochers-arcades, ou à peigne, au moins, sont supprimés au profit de
tours carrées sans valeur artistique, peut-être sous l'influence de
Mgr de Marguerye qui ne les aimait pas (Ally, Toumiac, Saint-Paul).
L'architecte Mallay, qui a officié en Velay et Basse-Auvergne, refait
le clocher de Mauriac, puis Bonnay, des Monuments Historiques,
supprime les chapelles latérales avant de couvrir le chevet et les
bas-côtés en grosses dalles grises. Son projet
: re-romaniser l'édifice. Record battu pour un projet à
Bredons (projet d'école, jamais envisagé en fait) : on revoit et
corrige l'édifice, avec des délires de gargouilles, du néo-roman
mâtiné de néogothique, se mêlant à du néoclassique... Le pire
est atteint à Notre-Dame de Lorette en 1885, près de Salers, qui
fait “ plus d'honneur au zèle pieux du restaurateur qu'à son
sens artistique ”.
Une mention spéciale doit être attribuée cependant au bon
sculpteur Ribes, enfant du pays, qui refit en 1891 le
portail de Salers, dont les sculptures se délitaient, en respectant si
bien le style que de nombreux visiteurs le croient d'époque. En 1901
l'artiste sculpta, de toutes pièces cette fois, le portail de la
chapelle monolithe de Fontanges. On sent le dix-neuvième sans doute,
notamment dans l'ajourement des tympans et les sculptures de la
voussure supérieure, mais l'ensemble est charmant. Les petits dragons
que les colonnes viennent écraser sont du meilleur goût et
rappellent bien une trouvaille romane, à l'effet garanti, qu'on verra
chez nous aux porches d'Ydes et de Serandon.
Beau
travail également à la chapelle du Mas près d'Auzers, où l'on a
sculpté vingt petits chapiteaux. Au point de vue de l'inspiration on
a respecté l'esprit roman dans ses grandes lignes, ce qui montre la
fascination qu'il commençait à exercer. Quant au style, il s'écarte
de celui des maîtres par une taille plus ronde, plus enrobée,
parfois plus précise. On se contente souvent aussi d'un nombre
moindre d'éléments, mais on respecte les contraintes du support et
notamment la symétrie.
C'est
le temps aussi des débuts de l'archéologie religieuse. En
1837, Mérimée traverse l'Auvergne et adresse un rapport au ministre
de l'intérieur. En 1840 on crée des commissions officielles. Abus de
reconstructions et respect naissant de l'ancien sont donc
contemporains.
Mgr de Marguerye, évêque de Saint-Flour entre
1837 et 1851, est un bon symbole de cette attitude nouvelle. Féru
d'archéologie, ami d'Arcisse de Caumont, il s'impliqua
personnellement dans maintes restaurations et appliqua le principe de
l'unité de style qui lui faisait plus ou moins rejeter les retables
et autres adjonctions, selon lui de mauvais goût. En 1851 il adressa
à tous les curés un questionnaire sur l'état de leur église et ne
se privait pas de multiplier les conseils. Sous son impulsion on
plâtra les lambris, on perça les baies des absides que la mise en
place des retables avait souvent condamnées, on fit disparaître les
poutres de gloire, etc. Toutefois rien ne venait officiellement
garantir la préservation des monuments, et la doctrine de
restauration n'était pas fixée. De là une certaine anarchie, au
gré des modes néogothiques et néo-romanes, au gré aussi des
besoins plus ou moins réels d'extension.
Faut-il condamner le travail du dix-neuvième? Nous ne le
pensons pas.
C'est le lot des époques d'avancées que de détruire et de
refaire. Les maîtres romans n'ont pas respecté leurs
prédécesseurs; les maîtres gothiques ont refait parfois sans
vergogne. De même au dix-neuvième : vigueur, parfois désordonnée
certes, plutôt qu'irrespect. Il faut regretter surtout la perte
irréparable, dans le premier tiers du siècle, du monastère
de Mauriac ou de ce qu'il en restait, ainsi que de l'église
saint-Pierre attenante, l'une des plus anciennes
relevant de l'époque romane et qui aurait pu nous renseigner
largement sur l'évolution de l'art dans notre région.
En réalité, la notion de préservation en l'état est typique
du vingtième siècle finissant, et c'est un signe des temps. D'un
côté, repli frileux sur l'ancien, muséification généralisée du
moindre caillou taillé, jusqu'à la petite cuiller de grand-mère
(comme s'en vante un organisme régional), de l'autre absence presque
complète de création. Qu'a-t-on bâti au vingtième siècle dans le
Cantal ? - Peu qui charme l'oeil ou l'esprit, quand l'idéal de
consommation, de confort et de rapport remplace ce qui fut une consummation
des richesses dans des constructions d'églises inutiles, qui
ne rapportaient rien. Dès lors si l'on peut parler comme
Daudet de "stupide dix-neuvième siècle", que dire du
vingtième?
Les églises romanes de notre région permettent donc de
découvrir la trace de plusieurs générations de chrétiens et de
bâtisseurs qui tous ont voulu, plus ou moins discrètement, apposer
leur marque et en quelque sorte s'approprier l'édifice. Le changement
toutefois, à quelques vandalismes près, s'est effectué dans le
respect de l'ancien et l'amour du beau s'est assez bien perpétué.
Visiter une église c'est donc aussi retrouver et
confronter les goûts et les styles, leur symbiose ou leur éventuel
décalage ; c'est prendre contact avec huit cents ans
d'histoire et de mémoire. La pureté y perd sans doute quelque chose,
mais nous y gagnons la vision d'une foi qui transcende les époques,
ce qui n'est pas un mince enseignement.