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La vie quotidienne autour de l'église à l'époque romane

 

L'église de Chastel-sur-Murat

 

 

 

 

 

 

 

Aperçus historiques

 

Il nous a paru intéressant de dire quelques mots non plus seulement sur l'édifice, mais sur la vie qui l'animait au temps de sa splendeur, sans prétendre ici à autre chose qu’un rappel historique.

(Ce texte est une version augmentée de celui paru dans le tome 1 de Eglises romanes de Haute-Auvergne, pp.45-50.)  

 

 

 

L'église et le château


 

La plupart des villages, villes et bourgs de l'époque romane étaient déjà en place quand on décida de reconstruire les églises en pierres. Ces lieux d'habitation, quand ils avaient une certaine taille, s'étaient bâtis sous la protection de l'église ou d'un château. Il n'y a pas de règle stricte en la matière : parfois le château a dû précéder l'église, comme à Salers dont le château est cité en 1109, à Apchon (mi-XIe), ou encore à Saignes, cité entre 940 et 1073. Dans ces cas l'église est construite en-dessous du château qui occupe une position dominante, et avec la permission du seigneur. D'autres bourgs comme Sauvat n'ont jamais connu de château ; l'église se tient alors en un lieu privilégié, ici le centre du village. C'est, semble-t-il, le cas le plus courant. L'église de Vebret fut aussi sans doute le centre du bourg : sa position actuelle, excentrée, doit s'expliquer par un déplacement du village (pour une raison inconnue).

D'autres édifices restèrent isolés, le plus souvent parce que leurs bâtisseurs avaient désiré la solitude, selon le principe de la fuga mundi. Ainsi à Féniers (Condat) et au Roc Vignonnet (Antignac), bien que cette dernière ait joué un rôle paroissial à certaines époques. D’autres églises aujourd’hui abandonnées témoignent en fait d’une extension de peuplement, comme Chanet, fondée en 924, dans un but de colonisation des hautes terres. Enfin il subsiste quelques rares chapelles castrales (Jailhac, Saignes, Murat-la-Rabbe, Lastic, Loubarcet) qui ont pu accueillir un temps des paroissiens (Jailhac) sans fixer durablement le peuplement.

Qui décidait des constructions ? Le seigneur souvent, mais alors il ne faisait que chapeauter le souhait des populations (exception faite des chapelles castrales, réservées d'abord à son usage), et bien évidemment les ordres religieux : abbayes d’Aurillac, de la Chaise-Dieu, de Blesle, etc. Toutefois l'immense majorité des édifices était à vocation paroissiale et dépendait d'une manière ou d'une autre de la tutelle seigneuriale. Les seigneurs possédaient les édifices eux-mêmes et les droits afférents : le cartulaire de Saint-Flour est rempli d’actes de donation effectuées par des particuliers au bénéfice du nouveau prieuré, aux XIe et XIIe siècles.

La charte dite de Clovis (IXe-XIe siècles) nous apprend aussi que certains villages possédaient deux voire trois églises : deux à Riom et Anglards-de-Salers, trois à Trizac. Il est difficile cependant de savoir si cela correspond à des édifices complets et distincts ou s'il s'agit de différents autels dans une même église. Si l'on tient compte cependant du fait que tout le monde à l'époque se rendait à la messe, et que les bourgs en question pouvaient contenir déjà cinq cents ou un millier d'habitants, voire davantage, la supposition qu'il s'agit d'édifices distincts n'est pas absurde. Il devait y avoir en tout cas une église principale en dur, celle qui a subsisté, tandis que les autres étaient peut-être en matériaux moins durables, ce qui aurait l'avantage d'expliquer leur totale disparition.

Quoi qu'il en soit les demeures profanes, même considérablement fortifiées, ont été balayées par le temps, et il ne reste plus que l'église. Le site de Saignes est intéressant à cet égard puisque du château on ne connaît plus qu'un misérable pan de mur, tandis que la chapelle castrale trône encore fièrement sur son piton. De même à Lastic, Loubarcet et Saint-Victor. Il faudra se rendre en ville pour trouver un édifice non religieux relevant de l’époque romane : à Aurillac surtout, où nous trouvons non seulement l’hôpital, dont la façade est bien conservée, mais aussi divers pans de murs et fenêtres, puis à Mauriac (maison à baies de la place ; remploi possible) et à Saint-Flour, 1, rue de Belloy, où subsiste un beau portail (peut-être remployé également).

 

 

L'église, maison commune


 

Les églises, on l'a vu, servaient, outre de lieu de culte, de maison commune. L'importance de l'église comme pôle attractif était redoublée, aux yeux du petit peuple, du fait qu'elle était aussi lieu de refuge bénéficiant du droit d'asile. Le concile tenu à Charroux en 989 interdit d'envahir les églises, ce qui nous renseigne indirectement sur les mœurs de certains seigneurs pillards, puisque l'interdiction sera répétée sans cesse, jusqu'à la législation de la paix de Dieu au XIe siècle, et après encore. Bruno Phalip insiste sur ces seigneurs qui n'ont pas pour vocation première la défense de la veuve et de l'orphelin. Jusqu'au XVe siècle, dit-il, les châteaux cantaliens n'ont pas de basse-cour, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent servir à la protection des villageois. Si le Cantal a été relativement préservé des barbares venus d'ailleurs, il a dû subir les voyous de l'intérieur.

Maison commune, lieu de refuge, l'église est aussi coffre-fort et entrepôt. On s'en sert parfois de grenier ; on y cache son sac ou des archives en vue de les soustraire à la convoitise des méchants. Quelques édifices étaient fortifiés, comme c'était le cas dit-on à Collandres (mais à quelle époque ?). Plus généralement, tous les temps troublés ont vu des églises devenir casernes : au clocher de Riom on observera des restes très parlants datant des guerres de religion. A Anglards, début quinzième, les habitants se cachent dans l'église à l'approche des écorcheurs de Villandandro. L’église d’Allanche, surtout, a conservé les aménagements militaires des XIVe et XVe siècles. L’absence de fortifications nettes datant de l’époque romane ne signifie pas pour autant que les églises, alors, ne jouent aucun rôle de protection. Si elles sont en pierres ce n’est pas seulement parce que le bois, en période de défrichement, coûte cher, c’est aussi parce que la pierre ne brûle pas. L’église, rappelons-le, est en soi un petit château fort, et souvent le seul bâtiment « en dur » du village.

Autour de l'église se tient le cimetière, lui aussi terre d'asile. On vivait donc avec les morts, et même en bonne intelligence, nous disent des historiens, puisqu'on y dansait et festoyait régulièrement. Les abords de l'édifice devaient être occupés aussi par des constructions diverses, cabanes, voire tables de marchands ou même habitations. Les sacristies construites au XIXe nous paraissent laides, mais c’était  pire a l'époque !

Les cimetières ont été creusés depuis et excentrés, obligeant parfois, comme à Méallet, à une reconstruction des bases des églises. Ce refoulement des cimetières correspond aussi à un refoulement de la mort dans les esprits, laquelle aujourd'hui en vient à être perçue comme un scandale. Il n'en allait pas de même durant les temps anciens où l'on vivait la mort au quotidien, bien obligé qu'on était de suivre toutes les étapes de l'agonie. Du reste les morts continuaient à entretenir des rapports avec les vivants. Un mort pouvait participer à un procès, comme victime ou coupable, et refuser d'enterrer un homme dans le cimetière paroissial, c'était le rejeter de la société.

 

 

Cérémonies et sacrements


 

L'église sert évidemment à recevoir la Sainte Hostie dans la célébration de la messe, mais la communion est accordée avec parcimonie. L'hostie est délivrée sur la langue ; la communion sous l'espèce du vin est progressivement supprimée pour les fidèles. Pas partout : cela semble s'être pratiqué assez longtemps à Salers, puisque un texte de 1308 fait état d'une taxe de 12 deniers "pour acheter le vin que l'on donne dans cette église aux personnes qui y reçoivent le corps du Christ".

Plus fréquente que la communion est la pénitence, publique et privée, mais la confession auriculaire se pratique surtout à partir de 1215, quand le quatrième concile de Latran impose le secret absolu. Les pénitentiels, listes de péchés à confesser assortis de pénitences proportionnées, nous renseignent indirectement sur les mœurs populaires, apparemment toutes plus ou moins orientées vers des pratiques magiques a-chrétiennes, et même sans doute antérieures aux traditions celtiques, germaniques et latines. Éducation et répression sexuelles sont également très présentes.

On baptise les enfants, très tôt et plus comme avant à l'âge de raison, mais plutôt que l'immersion on pratique l'infusion, ce qui fait disparaître les baptistères au profit des fonts baptismaux (cuves de Mauriac, Chastel-Marlhac, Chalvignac, Chalinargues…).

 Le mariage est célébré par le prêtre de paroisse, qui ne prend toute son importance dans la cérémonie qu'à partir du XIe siècle. On oublie généralement quel progrès social, comme on dirait aujourd'hui, a permis d'accomplir l'institution religieuse en imposant ses critères de mariage. Le mariage chrétien en effet repose sur la libre volonté des époux. Certes le mariage arrangé a perduré tant que tous y voyaient un avantage social, du moins le principe était là. Il a permis l'éclosion de notre vision moderne de l'amour, qui n'est pas de tout temps.

Le mariage s'effectue d'abord in facie ecclesiae, et il est éventuellement suivi d'une messe. C'est seulement en 1614 que le nouveau rituel stipulera la nécessité d'accomplir la cérémonie à l'intérieur. Le mariage en blanc, rappelons-le, est une invention postérieure au moyen-âge.

C'est la messe toutefois qui attire le plus régulièrement. On y fait toutes les annonces, y compris les profanes, de sorte que la famille qui n'envoie pas un de ses membres au moins est véritablement coupée du monde. Les pénitentiels en tout cas ne se plaignent pas de l'absentéisme à la messe. A l'intérieur, ni bancs ni chaises; on s'assoit par terre ou sur la paille, ou on reste debout appuyé sur un bâton. Il subsiste dans certaines nefs des murets bas collés aux murs goutterots qui ont pu servir de bancs, et il est également probable que l'élite sociale du temps, comme par la suite, disposait de certaines places réservées.

La cérémonie n'était pas toujours vécue avec le plus grand sérieux par les paroissiens : certains jouent aux dés derrière les piliers, d'autres esquivent les "parlottes" pour n'entrer qu'au moment crucial de la Consécration, d'autres encore amènent leur chien. Cette désinvolture apparente rend peut-être plus compréhensible qu'on ait admis aux chevets de nos églises mauriacoises des modillons parfois hallucinants d'indécence...

Car l'église était vraiment la maison du peuple. A la fin du XIIIe siècle encore l'évêque de Mende, Guillaume Durand, interdit dans les églises "les chants, les danses, les jeux, les plaids, le commerce et les assemblées" et d'une manière générale les "chants diaboliques que le peuple a coutume de faire la nuit pour les morts" et autres farandoles dans les cimetières. Il semble qu'on dansait aussi dans l'église elle-même, peut-être sur la "chanson de sainte Foy" ou Canczon ques bellantresca, chanson "qui est belle à danser". La danse est d'ailleurs bien représentée sur nos chapiteaux, à Riom, Saint-Amandin et surtout Menet.

Le sentiment religieux toutefois est évidemment très fort chez tous, ou presque tous, car il y a aussi chez les paysans des esprits forts qui rient des "superstitions".

 

 

Les cultes populaires (voir aussi la page sur le culte des reliques)


 

Buste de Saint-Césaire (Maurs)

Les dévotions populaires occupent particulièrement les esprits, et notamment le culte des reliques enfermées dans de superbes châsses en émaux limousins. On vénère les saints, pas toujours dûment estampillés. La vox populi peut créer elle-même ses héros, quitte à ce qu'ils soient récupérés plus tard par les voies officielles, comme c'était encore le cas à la fin du dix-neuvième siècle dans notre région, où un certain Jean-François Lesmarie fut vite plus connu sous le nom de Saint de Jailhac. "A travers les villes et les campagnes, écrit Guibert de Nogent en 1119, le peuple crée chaque jour des rivaux aux docteurs de l'Eglise, aux saints".

 On demande aux saints et à leur reliques, pour l'essentiel, des miracles. Chaque paroisse exige son faiseur de miracles ; on s'arrache les vêtements de l'Elu; on récupère la poussière qui couvre son tombeau. On va jusqu'à voler des reliques quand on en manque, ainsi chez nous les restes de Saint Mary rapportés à Mauriac.

Il n'est donc pas difficile d'imaginer le sens des prières du petit peuple : protection pour soi et la famille, coup de pouce aux récoltes... Les églises s'emplissent d'un bric à brac d'ex-voto et, à Mauriac, de chaînes de prisonniers miraculeusement délivrés. Il reste des fers à Mauriac et à Orcival, et l'on peut voir des entraves sculptées exposées au tympan de Conques,  symboles d'une époque où l'exaction n'était pas rare. Le chevet de l’église d’Allanche, de même, présente un prisonnier exhibant ses liens, en signe de supplication ou de pénitence.

 

Les cultes populaires sont évidemment une bénédiction pour tous les charlatans, qui font vénérer du pain mâché par Jésus ou les restes des corbeilles ayant servi à la multiplication des pains. Au début du XIIIe siècle on interdira toutes ces vénérations pirates, qui cependant perdureront. Il ne faudrait pas se méprendre toutefois sur ce qu'on nomme un peu rapidement la "superstition" et la "magie", croyant par ces mots avoir suffisamment défini les croyances populaires. En réalité, la superstition est consubstantielle au christianisme. On peut lutter contre ses formes dégradées, où il n'entre plus assez de religion, ou pas la bonne religion : un chapiteau de Lanobre est peut-être une condamnation du sacrifice païen. On peut lutter encore contre ses formes dégradantes, qui confinent à la débilité mentale, mais on ne peut pas extirper la superstition toute entière, car ce serait détruire avec elle la religion qui la supporte. Il doit en être ainsi dans une religion qui explique que Dieu aime les hommes et s'en préoccupe. Réclamer le coup de pouce n'est pas une infamie, ou une attitude puérile par nature débilitante, dans un système où Dieu intervient à tout moment dans l'histoire individuelle et collective des hommes. De même l'Eglise a toujours reconnu l'action des saints, intercesseurs et faiseurs de miracles. Le Dieu chrétien, ou d'ailleurs juif et musulman, et tous les dieux grecs et avec eux toutes les divinités païennes des anciens habitants de l'Europe, ne sont pas en effet des abstractions perdues dans les nuées, indifférentes à tout sauf à eux-mêmes ou, comme voulait le croire la métaphysique d'Aristote, des Premiers Moteurs Immobiles, Pensée de la Pensée, etc. L'un au moins, le Christ, est un être qui est aussi de chair et de sang, et tous sont des entités qui parlent, ordonnent, réprimandent et enfin punissent et récompensent, bref des êtres auxquels on adresse des prières.

La prière est une forme de la superstition. C'est objectivement un acte magique qui vise à se concilier une volonté supérieure et toute puissante. L'Eglise n'a d'ailleurs pas voulu éradiquer la magie, mais la christianiser. De là ces menhirs surmontés de croix (Sériers) et ces bénédictions officielles des champs, des charrues, des maisons, ou encore ces têtes hurlantes à l'entrée  des  églises  qu'on  nomme  ici « Salguebrous », et qui éloignent les esprits méchants. C'est pourquoi la décadence des superstitions chrétiennes n'indique pas une épuration de la foi, comme doivent le penser de gentils théologiens qui s'en félicitent, mais sa disparition. Seul celui qui ne croit plus ne demande plus, et les époques de grande foi sont corrélativement des époques de grande superstition. Plus généralement, la superstition religieuse consiste simplement à être convaincu de la présence et de l'action permanentes de Dieu, ce qui est aussi, je crois, la définition de la Foi.

Cette piété populaire va entrer en contact avec le christianisme rénové de l'ère romane, avec ses prêtres et ses édifices qui un peu partout sortent de terre. Il serait intéressant de mesurer l'impact de cette nouvelle architecture et de cette sculpture renaissante sur le petit peuple. Il n'est pas sûr que le bouleversement ait été très grand, les sculpteurs notamment intégrant maints thèmes populaires.

Le jour entre peu dans l'église romane. Beaucoup de fenêtres, à l'époque gothique et plus tard, ont été agrandies, parfois sauvagement d'ailleurs, mais on dispose à l'intérieur des bougies, peu sans doute car elles coûtent cher. L'ambiance est donc confinée. Le prêtre n'a pas de chaire à prêcher, et pas de micro, ce qui doit l'obliger à soigner son organe vocal et le pousse à un dynamisme qu'on peut juger trop disparu depuis. Regarde-t-on seulement les sculptures des chapiteaux ? Ce n'est pas sûr, même si les corbeilles étaient sans doute largement bariolées de couleurs vives. C'est un fait qu'aujourd'hui bien peu de fidèles les remarquent, et l'obscurité favorise l'indifférence. Les examinerait-on, d'ailleurs, qu'on ne les comprendrait pas forcément, et le prêtre aujourd'hui comme hier n'est pas toujours capable d'une interprétation.

Il devait aussi y avoir des fresques sur les murs mais il n'en subsiste rien dans notre région (celles qui ornent Sauvat et Jaleyrac datent du XVe siècle ; on en découvre d’autres un peu partout, également postérieures à l’époque romane. Seules les fresques d’Aurillac, aujourd’hui invisibles, sont romanes). Il ne faut pas exagérer toutefois la présence des peintures : la plupart des édifices ont bénéficié, au niveau de l'appareillage, d'une attention particulière, et le premier souci des artistes ne pouvait pas être de badigeonner les murs. Il y a même, à l'extérieur pour Ydes, et à l'intérieur pour Antignac, Brageac ou Lastic, par exemple, des jeux d'appareils évidemment voulus. On a mélangé deux types de pierre et partant deux coloris : ces fantaisies montrent qu'on n'a pas cherché à camoufler les murs, mais qu’on a parfois, au contraire, utilisé l'architecture elle-même comme ornementation suffisante.

 

 

Le prêtre


 

L'instruction religieuse passe avant tout par le prêtre. Qui était-il ? Pour les églises rurales qui nous occupent il s'agissait d'un indigène, le plus souvent fils d'artisan ou de paysan aisé, certainement peu éduqué et susceptible ainsi de dévier en toute bonne foi, d'où une multitude de petites hérésies très localisées, et le plus souvent très tolérables.

On se plaint dans les conciles (Bourges et Limoges, en 1031) du faible niveau du petit clergé : des clercs bredouillent les paroles liturgiques parce qu'ils n'en savent pas un mot, cependant qu'un texte du XIe siècle interdit aux prêtres de dire plus d'une messe par jour, car certains en auraient bien dit douze moyennant finance. On dénonce donc des prêtres peu ins­truits, mais aussi adeptes du concubinage notoire (c'est-à-dire mariés, mais dénoncés comme concubins), voire serfs parfois, ce qui est interdit. L'affaire du mariage des prêtres secoue notre époque : elle secoua le moyen-âge. Certains « nicolaïtes », c'est-à-dire défenseurs du mariage des prêtres, vont jusqu'à accuser leurs détracteurs d'homosexualité .

Cela provoquera, on le sait, le sursaut que fut la fameuse réforme dite "grégorienne", qui s'étend jusqu'au début du XIIe siècle. Les moines essaiment alors vers les églises paroissiales et forment ce qu'on appellera des "prieurés". Il y en avait, dans le Cantal comme ailleurs, une multitude. Simonie et nicolaïsme sont combattus. En même temps les seigneurs laïcs, qui s’étaient taillé des fiefs sur la dépouille de l’Eglise, rentrent dans le droit chemin, tels ces Guy et Raoul de Scorailles qui, en 1096, firent amende honorable avant de partir pour la Croisade.

Les prêtres, quand ils ne sont pas spoliés, reçoivent des revenus de la part des paroissiens, souvent en nature. A Saint-Paul par exemple, il fallait donner un agneau pour baptiser une fille, et deux pour baptiser un garçon, mais c'est le "patron", l'abbaye ou l'évêque, qui récupère le tout et n'en rend qu'une partie. La relative pauvreté du petit prêtre explique alors que les meilleures places au cimetière soient payantes... Dans le meilleur des cas en effet on se fait ensevelir directement dans l'église (nécropole de Lascelle, fouillée récemment), les moins riches recherchant les emplacements sub stillicidio, c'est-à-dire à l'extérieur au plus près des murs. Les pauvres prennent ce qui reste.

 

 

L'église et les pauvres


 

D'autre part l'église exerce son rôle d'assistance publique. Depuis le IXe siècle au moins chaque paroisse assure un secours aux pauvres, enregistré dans la "matricule". Ces secours sont en principe alimentés par le quart des dîmes et la moitié des donations. On ne sait pas ce qu'il en était exactement dans le Cantal à l'époque romane. Les Hospitaliers, au XIVe, ont dû bâtir un hôpital au lieu-dit l'Hôpital, actuel Ydes-Centre. Il y avait aussi près Jaleyrac une maladrerie, dès le XIVe siècle. Les hôpitaux et léproseries semblent surtout apparaître au XIIIe siècle, où ils se multiplièrent. Les lépreux portaient des vêtements spéciaux ; l'entrée de l'église leur était interdite, et l'on disposait parfois un petit bénitier à l'extérieur à l'usage des ladres, comme ceux de Saint-Amandin et des Ternes, dits "des lépreux" (XVe siècle).

 

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Tout cela dessine une vie paroissiale intense, où la fête paysanne côtoie l'exaction seigneuriale et ses "mauvaises coutumes", mais l'image la plus claire de cette existence paroissiale reste cette solidarité qui naît à l'ombre des églises. Il faudra se souvenir, en visitant les édifices dont nous donnons ici les monographies, qu'ils n'ont pas toujours été ces murs un peu morts oubliés des offices et du peuple, mais qu'une vie intense, heureuse et tragique, s'y déployait

 

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La statue de saint Géraud et le culte des reliques

 

 

 

 

 

 

 

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