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Les lois de la sculpture romane

 

Henri Focillon le premier a insisté sur le caractère architectural de la sculpture romane, et montré qu’il en découle quelques grandes lois observables partout. On distingue principalement :

-          La loi d’attraction des angles, et sa variante la loi de symétrie;

-         La loi de contact;

-          La loi de plénitude.

   

 

 

 

Loi de plénitude et d'attraction des angles


 

La loi de plénitude est en réalité la plus importante et décide des autres. Elle ne provient pas directement de la sculpture ni de la sculpture romane, mais s’y impose comme ailleurs. Il semble que l’un des grands principes de l’art ancien ait été la sainte horreur du vide, ce qui vaut aussi bien dans l’enluminure que dans les ivoires, tissus ornés et autres supports. La sculpture ne devait pas échapper à la règle.

  “ Horreur du vide ” ne signifie pas absence totale de vide, comme on s’en doute, mais ornementation de chaque paroi de la corbeille, chacune devant recevoir un motif. Cette loi ne s’impose évidemment que lorsque l’artiste décide d’orner un chapiteau, car il peut très bien abandonner sa corbeille à la nudité la plus totale, se contentant d’abattre les angles (nombreux cas en Aurillacois : Lascelle, Girgols, Laroquevieille, etc.).

  La loi de plénitude entre en conflit avec le support qu’est le chapiteau, divisé en quatre ou trois faces disposées à angle droit. Le parti le plus simple consisterait à sculpter un motif indépendant pour chaque face de la corbeille, mais l’étroitesse du format réclame alors une minutie que nos sculpteurs locaux n’avaient pas. En outre, les motifs ainsi formatés risquent de perdre largement en visibilité puis en lisibilité. Cependant, construire un motif quelconque sur plus d’une face, deux ou trois, oblige à tenir compte de l’arête alors inévitablement rencontrée. De là tout simplement la loi dite d’attraction des angles, puis de symétrie, les arêtes formant les axes. Il s’agissait avant tout en effet d’occuper les angles, quitte à dérouler autour une frise continue se logeant sur les trois faces. On observe ce procédé à Riom-ès-Montagnes, sur les deux chapiteaux du chœur, où une scène unique occupe l’ensemble de la corbeille tandis que les personnages principaux tiennent les angles.

  Cette solution comporte néanmoins quelques inconvénients. La configuration du support, tout d’abord, empêche une lecture globale de la scène, deux faces seulement étant visibles à la fois. La suite de la frise est donc comme détachée, pour le spectateur, du fait de cette configuration. Mais le plus embêtant n’est pas là, car l’artiste alors est obligé d’inventer une scène complexe, susceptible d’emplir une vaste zone, et doit être capable, ensuite, de la réaliser techniquement. Seuls les meilleurs peuvent y prétendre. Pour les autres, nettement majoritaires, il reste à inventer une solution plus économique ; ce sera le principe de symétrie.

  Ce dernier principe s’impose partout avec force, son emprise est totale. On ne compte plus les personnages, animaux, et notamment oiseaux, griffons, sirènes, disposés  symétriquement, qui tous vont à peu près systématiquement par deux, affrontés contre l’arête au niveau du bec, de la tête, des pattes, du thorax, du dos, ou bien occupant chacun un angle.

  Mais cela n’allait pas sans poser un nouveau problème, car par ce biais deux faces seulement sont ornées, de chaque côté d’une arête, ou bien les deux arêtes seules sont occupées, le reste risquant la nudité. Il y a donc deux cas principaux, offrant deux problèmes et nécessitant deux solutions : 1) le cas des motifs affrontés à une seule arête (deux faces seulement sont ornées) ; 2) le cas des motifs occupant les deux arêtes (sirènes, masques humains…), où ce sont les surfaces centrales qui se trouvent alors laissées à l’abandon. Dans les deux cas la loi de plénitude impose une solution.

Concernant le problème de la symétrie sur deux faces on observe quelques cas de pur remplissage, à Sauvat et Bassignac par exemple, et davantage à Bassignac qu’à Sauvat. Dans les deux cas il s’agit d’un motif de griffons allant par deux, affrontés à un axe formé par une des deux arêtes de la corbeille. Les griffons occuperont naturellement les deux faces visibles, côté nef, du chapiteau. Il reste, loi de plénitude, à orner la face cachée côté chœur. Le sculpteur de Bassignac n’a pas fait preuve d’une imagination débordante et s’est contenté d’un motif de feuillage absolument étranger aux griffons ; celui de Sauvat (peut-être le même d’ailleurs) ajoute une sorte de petit cheval et un lambeau de végétation.  

  Certains motifs très répandus permettent de sauter l’obstacle en appliquant la loi de symétrie à l’ensemble des trois faces, constituant ainsi une solution élégante au problème de la symétrie sur deux arêtes. Il ne faut pas chercher ailleurs le succès des sirènes bi-caudales ou des masques crachant des tiges, feuillages, entrelacs divers.

La sirène bi-caudale est l’expression même de la contrainte récupérée : chaque tronc de sirènes occupe un angle tandis que les queues relevées viennent remplir les trois faces adjacentes, une queue de chaque sirène se retrouvant sur la face centrale, la plus large, puis les deux queues restantes occupant chacune une des deux autres faces plus étroites. Il en va de même pour les masques humains ou monstrueux crachant (ou suçant) des tiges ou des palmettes : les têtes tiennent les angles et les tiges s’épanouissent en occupant les faces. Même contrainte, même procédé.  

 

  Cela ne fait pas des sirènes ou des masques cracheurs des motifs purement ornementaux. La sirène est assurément une figure de la volupté, ou du mal en général. Le sculpteur de Riom a même remplacé l’un des troncs de sirène par un masque monstrueux, insistant lourdement sur la symbolique. Mais il ne faut pas se demander au nom de quel symbolisme extravagant ces sirènes fonctionnent toujours par deux, ni pourquoi elles ont deux queues au lieu d’une (le double langage de Satan ?). Tout ceci ne dépend pas du symbole, mais de la structure.

  On comprend mieux dès lors l’importance d’une étude structurelle dans le travail d’interprétation, en soi légitime, que nous allons entreprendre. C’est qu’il ne faut pas confondre la part de liberté et la part de contrainte mises par l’artiste dans son œuvre. Certaines interprétations parmi les plus obscures devraient même tomber toutes seules. Ainsi de la sirène bi-caudale, soi-disant symbole des forces telluriques sises sous l’édifice, qui représenterait la rencontre de courants souterrains (d’où les deux queues), dont dépendrait le magnétisme de l’église. C’est un fait qu’il y a souvent de l’eau sous les églises, voire des puits, comme à Montsalvy ou dans l’ancienne église de Carlat, qu’on appelait pour cela Notre-Dame-du-Puits (et non du Puy), mais d’autres hypothèses infiniment plus simples permettent d’en rendre compte : christianisation de lieux de culte païens, ou simplement prévoyance, en cas d’incendie. Les sirènes “ telluriques ”, sans être absolument impossibles (comment le prouver ?), apparaissent donc comme une explication au moins fort contestable, sinon fantaisiste.

   

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