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Les lois de la sculpture romane (suite)

 

 

 

La loi de contact


 

La dernière loi de la sculpture romane, enfin, découle des précédentes. La loi de contact exige que tous les éléments du chapiteau, autant que faire se peut, soient reliés les uns aux autres. C’est aussi ce qu’on pourrait nommer la loi de frise ou la loi de continuité. Elle s’explique me semble-t-il assez simplement : de même qu’un peintre n’ornerait pas sa toile de deux thèmes totalement disjoints, sans rapport l’un avec l’autre, de même le sculpteur roman a-t-il souvent voulu voir son chapiteau comme un tout dont il lui appartenait de faire un ensemble cohérent. Mais il n’a pas toujours assumé cette cohérence dans le sujet même de la sculpture, et s’est plutôt contenté de liaisons superficielles, parfois arbitraires, entre des motifs en réalité sans rapport.

Voilà qui montre de manière assez péremptoire combien, chez le sculpteur roman, la forme l’emporte souvent sur le fond ! On reconnaîtra la loi de contact à ces personnages qui tiennent des feuillages, le bras d’un tiers, la queue d’une sirène ou tout autre motif sans rapport, le lien n’étant que de façade. C’est pourquoi encore toutes les mains ont un usage, tout s’accroche à tout, tout se touche et se rattache comme en un entrelacs féerique permanent. Là encore la méconnaissance de cette loi risque d’entraîner à des délires interprétatifs. 

  Prenons l’exemple d’un chapiteau de la petite église de Sauvat, canton de Saignes en Mauriacois, qui a l’avantage de rassembler de manière didactique l’illustration de chacune des grandes lois dont nous venons de parler.

  Que voyons-nous ? Deux griffons, ou hippogriffes, peu importe, affrontés à l’un des angles de la corbeille. Nous reconnaissons là l’effet de la loi de symétrie. Mais deux faces seulement sont occupées, les plus importantes certes, car les plus visibles, et la loi de plénitude exige davantage. De là ce petit animal sur la troisième face, visible seulement à partir du chœur, agrémenté d’un feuillage informe. En dessous, une autre silhouette indéchiffrable. On se souvient que le sculpteur de Bassignac, lui, s’était contenté d’un feuillage.

  Ce n’est pas tout : plus consciencieux que son confrère, le sculpteur de Sauvat tient au respect de la loi dite de contact, et ces éléments surajoutés doivent en quelque manière entrer en contact avec le motif principal. C’est ainsi que les “ bestioles ” de la troisième face mordent, l’un la queue d’un griffon, l’autre une patte.  

 

 

 

  

Les limites de l'interprétation symbolique


 

Symétrie, plénitude, contact. Nous n’avons pas besoin d’interpréter davantage. Pourquoi faire des griffons, par exemple, les symboles de la sécurité ou de la sérénité (ce qu’ils sont souvent dans l’art gallo-romain, en tant que protecteurs des morts ou des sanctuaires, et ce qu’ils resteront un peu dans l’art roman comme protecteurs de l’Eglise, quand ils encadrent un calice), laquelle sérénité serait sans cesse menacée, par derrière et subrepticement, par l’intrusion de la bestialité agressive ? – Le bon chrétien ne devrait-il pas rester vigilant ?

  Voilà je crois où nous mènerait la volonté d’interpréter sans tenir compte des principes contraignants de la sculpture sur chapiteaux à moins que, plus prudents, nous refusions l’idée même d’interprétation. Mais nous pouvons interpréter, bien que sur un plan non symboliste. Le sculpteur voulait représenter des griffons, thème classique, et d’ailleurs peut-être commandé. L’emplacement du chapiteau, qu’il connaît à l’avance, implique que deux faces seulement seront visibles côté nef, et c’est tout naturellement sur ces deux faces, utilisant le principe de symétrie, que nos griffons figureront. Mais il reste à orner la dernière face de la corbeille. Peu importe ce qu’on y met, doit se dire notre artisan, d’ailleurs qui y fera attention ? Et le voici qui sculpte les motifs informes (et bâclés) que nous avons décrits. Chemin faisant il relie, tant qu’à faire, les deux parties de son travail.

  Il est toujours loisible d’imaginer que les griffons symbolisent quelque chose, mais comment ne pas voir que le symbole vient après, et comme surajouté à la structure qui, d’abord, a décidé du motif ?

  Nous en aurons plus claire conscience quand nous aurons rappelé que les chapiteaux animés ou historiés, c’est-à-dire présentant animaux, personnages, histoires (et donc parfois symbolisme) sont en fait extrêmement rares si on les rapporte au nombre des chapiteaux purement fonctionnels (corbeilles nues) ou décoratifs (chapiteau “ mauriacois ” ou à feuillage). Le but premier du sculpteur roman est donc à n’en pas douter l’ornementation, non le symbolisme, c‘est-à-dire, pour l’exprimer autrement, que tout ne veut pas dire quelque chose. Cela n’interdit pas l’interprétation symboliste, mais en limite considérablement l’intervention.

  Cette introduction un peu technique était nécessaire pour justifier la sélection qui suit. Nous ne parlerons pas du symbolisme des sirènes, des quadrupèdes affrontés, des griffons, de l’entrelacs, des feuillages, etc., parce que de symbolisme il y a de fortes chances qu’il n’y en ait point. La théorie du “ tout symbolique ” ne résiste pas à l’analyse du rôle architectonique du chapiteau, ou du moins, si symbolisme il y a, du côté des sirènes  et de certains griffons notamment, il n’est pas à l’origine des motifs. Certaines sculptures cependant, moins nombreuses, sont faites pour délivrer un message, et nous allons concentrer notre attention sur elles.  

 

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