Nous allons évoquer ici quelques thèmes privilégiés
de la sculpture romane cantalienne, répartis par nous en trois
grandes rubriques : les thèmes
religieux, les thèmes moraux,
les thèmes profanes.
Les thèmes religieux
Une
église romane est avant tout une église chrétienne, et nous devons
nous attendre à y trouver des messages chrétiens, des rappels de l’Histoire
Sainte, des illustrations de l’Ecriture. L’église, entendue comme
Bible de pierre, et ses images peintes ou sculptées,
considérées comme livre des illettrés, sont une réalité
perceptible dans les textes d’époque.
La Haute-Auvergne cependant se distingue en ce domaine par sa
pauvreté : il y a peu de sculptures directement reliées
aux Ecritures, et seulement dans les églises les plus riches.
Ydes, Mauriac et Lanobre mises à part, à quoi peut-être nous
pouvons ajouter Saignes et Champagnac, le christianisme est loin ou
fortement interprété. Les églises les plus rurales et les plus
rustiques, nettement majoritaires, le connaissent peu ou pas du tout.
Les sculpteurs eux-mêmes sont peut-être illettrés ; en tout
cas ils jouissent apparemment d’une liberté totale qui les fait
négliger tout programme iconographique cohérent et de grande
ampleur. Nous pouvons donc dresser un bilan rapide de l’usage
référencé aux textes sacrés.
Plus fondamentalement, et c’est l’un des intérêts majeurs
de la sculpture cantalienne, le christianisme aura été davantage un
déclencheur, un état d’esprit diffus menant à des images
moralisantes, qu’un simple texte à illustrer. Nos sculpteurs ne
savent pas toujours sculpter, mais ils font preuve parfois d’imagination.
Samson terrassant le
lion
Il y a plusieurs
représentations de ce thème classique, explicitement référencé (Mauriac)
ou non (Ydes, Jaleyrac…). Nous savons par ailleurs, et nous le
verrons dans la suite de cet article, que le thème du combat de l’homme
contre la bête est courant. Samson peut en être une des figures,
livresque ici, sans pour autant que l’accent soit mis sur l’illustration
des livres saints.
Le lion en effet symbolise de manière assez spontanée
la force brutale, animale, qui gît en tout homme et qu’il faut
savoir dominer. Sur la voie de la domination de soi, l’animal
n’étant compris que comme une part de l’humanité, le
christianisme offre certaines ressources. Samson symbolise alors l’Esprit
vainqueur de la Force, ou encore la bonne force dominant la mauvaise,
thème transversal à toutes les traditions de tous les temps, que
nous retrouvons à l’état chimiquement pur sur nos églises romanes
aussi bien que chez Platon.
Le
Samson (non nommé) de Jaleyrac
peut n’être qu’une figure morale de ce thème aussi bien
chrétien que pré-chrétien ; il n’en va pas tout à
fait de même de celui de Mauriac,
accompagné de l’inscription “ Admirez Samson
terrassant le lion de ses mains ”. L’animal et le
personnage sont bien reconnaissables, et il s’agit bien du
personnage biblique. Mais la présence à gauche du moine,
malheureusement mutilé, vient compliquer la scène, ou lui
donner une signification débordant le cadre strict de l’illustration.
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Vers
1105 en effet le monastère de Mauriac fut en proie au pire désordre,
les moines tentant de se soustraire à la domination de
Saint-Pierre-le-Vif de Sens, dont ils dépendaient, avec l’appui d’une
part importante de la noblesse locale. “ Tuez, brûlez ces
sales Francs ! ”, criait-on alors à l’adresse des
Sennonnais. Samson ne
représenterait-il pas la victoire du bon droit de Sens sur la
brutalité des revendications mauriacoises ?
Si l’hypothèse est exacte, elle montre combien l’illustration
est aussi une recommandation : Samson n’est pas seulement un
personnage biblique; c’est avant tout un modèle à suivre. Peu
importe dès lors qu’il soit Samson ou Gilgamesh, ou David luttant
contre un lion et un ours, tous thèmes qui prêtent à confusion. L’important
reste notre devoir de lutter contre notre propre animalité.
L’image
de Samson, mais sans lion cette fois, est encore utilisée dans
un autre sens, comme symbole de résurrection, de victoire sur
le tombeau. C’est sûrement la signification du Samson
d’Aurillac, trouvé
au siècle dernier dans ce qui fut à l’époque romane le
cimetière de l’abbaye. Samson, soulevant le lourd linteau sur
lequel son nom est inscrit, préfigure le Christ sortant
victorieux du tombeau, et par là symbolise l’espoir de tout
chrétien.
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Saint Michel et le dragon
Saint Michel est également en butte à l’animalité la
plus sauvage, représentée par le dragon, et symbolise de même la
force de l’Esprit. Un ange parfaitement chrétien toutefois,
puisqu’il porte la croix, l’aide dans sa mission. L’image de Champagnac
est donc sans difficulté et principalement illustrative. Cela ne doit
pas nous étonner puisqu’on peut l’attribuer au Geraldus
clericus qui a laissé son nom sur un tailloir.
Sculpture savante donc, comme celles de Lanobre
où l’on retrouve Michel dans une autre de ses activités
classiques, la pesée
des âmes.
L’archange tient d’une main la balance comptabilisant
Bien et Mal. C’est tout aussi classiquement qu’un autre
personnage essaie de faire pencher l’un des plateaux,
apparemment conseillé par une sorte d’animal-démon posé sur
son épaule. Image de jugement qu’on pourra voir aux tympans d’Autun
ou de Conques, ou sur un chapiteau de Brive.
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