L'extérieur
L'extérieur
de l’église réserve également de bonnes surprises. Le portail
d’abord, côté Sud, est original. Trois voussures ornées de boudins
retombent sur un bandeau continu porté par une avancée du mur et
quatre colonnes à chapiteaux. Une archivolte inscrit le tout, ornée de
deux rangs de damiers et de petits éléments saillants (têtes, boules,
pointes de diamant, pommes de pins, etc.), sommée enfin d’une tête d’homme
portant une barbe à deux pointes.
Les
chapiteaux sont
décorés de motifs chevronnés et de têtes aux angles, une tête
à droite étant prise en outre dans un câble. On a reconnu dans
ce chapiteau, la structure générale et l’archivolte à damier
et petits motifs saillants, le portail typique du Carladez qu'on
voit à Raulhac, Saint-Etienne-de-Carlat et Bromme. C’est très
exactement le même modèle, à ceci près que le maître de Jou a
ajouté des motifs originaux dans le petit tympan qui joint l’arc
de la porte à la première voussure. Ce sont en bas de part et d’autre
deux personnages en pied, mains jointes sur
le bas ventre dans une attitude de recueillement, puis deux
têtes inclinées et enfin au sommet un dernier personnage.
Détail presque imperceptible, on a sculpté encore dans l’arc
même une petite tête de chaque côté. |
L’ensemble
est fruste (on dirait des personnages en pain d’épices) mais cette
ornementation est unique en Haute-Auvergne. Les stries faiblement gravées
sur les tailloirs et les voussures renvoient encore au Carladez (Raulhac,
Saint-Etienne, Bromme, Boisset, Roannes…).
Il reste à voir les modillons,
également remarquables et originaux, qui devaient se trouver à l’origine
sur le chevet et se voient aujourd’hui sous la corniche des chapelles
latérales. On remarque aisément en effet que la partie haute du chevet a
été entièrement refaite. Partons de la chapelle Sud, en
allant d’Ouest en Est vers le chevet. Nous avons : -
une tête humaine qui d’une main se soutient le menton (un
deuxième bras est brisé) ; - une tresse circulaire enserrant une
petite face humaine ; - une face humaine dotée d’oreilles de
félin ; - un tonneau ; - deux volatiles buvant à la même
coupe, pattes jointes, encadrées par deux petites têtes animales ;
- un homme tenant par le bec deux oiseaux à corps unique ; - une
tête humaine prise entre deux serpents se mordant mutuellement ; -
une tête de loup ; - une face humaine encapuchonnée ; - une
tête de vache.
Sur la chapelle Nord on verra, en allant vers l’Ouest :
- un serpent enserrant une boule, inscrit lui-même dans un écu ; -
un poisson ; - une étoile inscrite dans un carré ; - un
entrelacs cruciforme et au-dessus deux petites têtes humaines ; -
une tête de carnassier montrant toutes ses dents ; - deux têtes
humaines accolées ; - un personnage vêtu d’une robe ceinturée,
face joviale, levant les bras au ciel ; - un modillon nu ; - une
tête de cerf ; - deux personnages qui ont l’air de partager un
même lit.
Ces vingt modillons n’ont certainement, pour la plupart, pas de
message précis. Ils relèvent de cet esprit de fantaisie propre à l’époque,
qui aime à combiner les formes. La nature, avec ces têtes de cerfs, de
loup, de vache, n’est pourtant pas oubliée ; elle est même
traitée ici avec un certain réalisme. La petite taille du support oblige
cependant à la stylisation et interdit la représentation de scènes
complexes comme on peut en voir en Mauriacois.
L’église de Jou-sous-Monjou comme on s’en rend compte offre
beaucoup à voir. Elle est l’exemple parfait d’un art rural
ouvert à la magie et aux traditions archaïques qui, il me
semble, expliquent en grande partie têtes coupées et symboles
phalliques. Parallèlement, et c’est assez rare, la Bible est ici
assez présente et l’on imagine volontiers dans le sculpteur de
l’arc triomphal quelque clerc original féru d’ésotérisme.
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Excursus
philosophique :
Le sens religieux du sacrifice
d’Abraham
L'histoire
du sacrifice d’Abraham fascine depuis longtemps les esprits curieux. Kierkegaard
en a donné une interprétation fondamentale, faisant de cet épisode le
point nodal d’une définition de la foi
religieuse. Que dit l’histoire ? Dieu demande à
Abraham de sacrifier son fils Isaac, son fils chéri qu’il eut tant de
mal à concevoir. Contre toute logique Abraham obéit. Kierkegaard insiste
sur l’irrationalité complète de cette soumission à un Dieu
contradictoire, bon et généreux, qui promet à Abraham une
descendance “ aussi nombreuse que les étoiles du ciel ” et
réclame cependant la mort d’Isaac. Dieu demande donc à un père de
tuer son fils : le scandale moral est total. Et pourtant Abraham
croit. Voilà donc le sens de la foi, hors de toute raison et même
contre toute raison. Le scandale prend toute sa dimension quand on
compare, à la suite de Kierkegaard, l’histoire d’Abraham et celle
apparemment semblable d’Agamemnon, lorsque celui-ci se trouve contraint
de sacrifier sa fille Iphigénie aux dieux du Vent pour assurer le départ
de la flotte grecque. Histoire semblable à ceci près qu’Iphigénie
sera vraiment sacrifiée, et surtout qu’Agamemnon a, lui, une raison d’offrir
ce sacrifice, raison peut-être fort mauvaise mais au moins présente. Le
sacrifice que s’apprête à commettre Abraham, au contraire, est sans
raison. Voici donc ce que montre l’histoire d’Abraham : l’irrationalité
de la foi, le “ saut qualitatif ” qu’il faut effectuer
pour passer de la logique humaine à la logique divine, qui pour nous est
illogique. Voilà pourquoi notre rationalisme s’avérera toujours
incapable de saisir la vérité de la foi, qui est d’un autre ordre et
passe infiniment l’homme, comme a dit Pascal.
Telle est la signification profonde de l’histoire contée sur ce
chapiteau de Jou-sous-Monjou. Signification gênante sans doute, mais
comme gênante doit être la foi dans toutes ses implications, c’est-à-dire
non pas d’abord consolation des maux terrestres qui nous accablent,
mais, disait Kierkegaard, “ inquiétude et tremblement.”
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